Société Générale/Crédit du Nord : dix-huit mois après, l’opacité des chiffres toujours pointée par les syndicats

Depuis l'annonce du projet de fusion à l'automne 2020, l'inquiétude des salariés du Crédit du Nord a franchi un nouveau cap. En Auvergne Rhône-Alpes, où le réseau compte trois établissements historiques et parfois centenaires (comme la Banque Laydernier ou Nugier), les récentes annonces de la Société Générale concernant la future identité visuelle et dénomination du réseau commun n'ont pas vraiment convaincu. Les syndicats reprochent toujours à la direction l'opacité de ce plan, qui débutera dès 2023, et promet déjà 3.700 suppressions de postes et 600 suppressions d'agences à l'échelle nationale.
Selon les syndicats, les effectifs pourraient ainsi baisser de manière très disparate en fonction des sites : une trentaine de suppressions de postes (sur 144) est ainsi attendue par exemple dans le réseau de la banque Nuger dans le Puy-de-Dôme, avec la disparition du siège de Clermont-Ferrand et la fusion de 6 agences sur 17 avec le réseau de la SG.
Selon les syndicats, les effectifs pourraient ainsi baisser de manière très disparate en fonction des sites : une trentaine de suppressions de postes (sur 144) est ainsi attendue par exemple dans le réseau de la banque Nuger dans le Puy-de-Dôme, avec la disparition du siège de Clermont-Ferrand et la fusion de 6 agences sur 17 avec le réseau de la SG. (Crédits : © 2009 Thomson Reuters)

Depuis la mi-avril, le projet de fusion du groupe Société Générale et Crédit du Nord est sur le point de franchir un nouveau cap. Car après la première annonce en octobre 2020, amorcée en pleine crise sanitaire, de réduire son maillage de 2.100 à 1.500 agences à l'échelle nationale d'ici fin 2025 (soit par 3.700 suppressions de postes « sans départ contraint »), afin d'aboutir à une réduction de ses coûts « de plus de 350 millions d'euros » par an à compter de 2024, l'intention du groupe bancaire au logo rouge et noir, d'intégrer l'ensemble de ses filiales du Crédit du Nord en une seule et même entité, avait déjà suscité des remous et des inquiétudes.

Elle était aussi à l'origine d'un premier rapport d'expertise alarmant du cabinet indépendant Secafi, qui avait pointé du doigt les nombreux écueils et risques de ce plan, que ce soit sur le plan social, mais aussi informatique et commercial.

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Depuis, la Société Générale avait évoqué l'amorce de plusieurs chantiers avec les représentants du personnel, en même temps qu'elle procédait à de premières vagues de nominations pour accompagner la transformation de son réseau : cela avait été le cas en Auvergne Rhône-Alpes, où un ancien du groupe Crédit du Nord (en charge de la direction Nord-Ouest jusqu'ici) Didier Pariset, avait été nommé le 1er mars 2021 à la direction régionale de Lyon, en remplacement de Karim Idrissi, "dans le cadre d'un échange croisé pour faciliter la fusion des deux groupes".

Il vient d'ailleurs d'être confirmé, en vue de prendre les rênes de l'une des 11 entités nouvellement créées, la SG Auvergne Rhône-Alpes.

Le cadre de la fusion à l'échelle régionale

Deux accords ont d'ores et déjà été mis sur la table du dialogue social : le premier porte sur la transposition des statuts (signé en septembre 2021) pour les quelques 7.800 salariés du Crédit du Nord, dont les conditions sociales sont appelées à s'aligner sur celles de leurs cousins de la Société Générale. Le second accord cadre, signé en date du 24 février 2022, porte quant à lui sur l'emploi et les compétences, et qui intègre notamment les dispositions de reclassement en interne.

Travaux à l'issue desquels le groupe a annoncé, le 19 avril dernier, de nouvelles annonces hautement symboliques, concernant la nature de ce nouveau réseau : avec à la clé, un redécoupage de l'Hexagone en 11 nouvelles "régions", disposant chacune d'un nouveau un logo et d'une identité visuelle commune, mais aussi d'une dénomination "réunifiée" sous la marque unique "SG".

Dans le cas de certaines filiales historiques, une forme" d'entre-deux" a finalement été trouvé, puisqu'on assiste à l'émergence d'un accolement du sigle SG (pour Société Générale) avec les noms de la Banque Laydernier (pour Annecy) et Auvergne Rhône-Alpes (pour l'entité de la Banque Rhône-Alpes (basée à Lyon et Grenoble), et qui absorbe désormais au passage les contours de la banque Nugier, à Clermont-Ferrand).

A cette occasion, un resserrement du calendrier a également été dévoilé, puisqu'il prévoit désormais que la restructuration "progressive" se concrétise en une fusion effective dès le 1er janvier 2023, avec une clôture du processus toujours prévue en 2025.

SG

Une "fusion" présentée, une "absorption" dans les faits selon les syndicats

Sur le terrain, force est de constater que ces nouvelles annonces "ne passent pas" sur les berceaux des établissements historiques du groupe du Crédit du Nord, qui s'estiment lésés, à plus d'un titre :

"On constate les annonces qui viennent d'être faites sont un simple habillage : il n'y a ni nouvelle banque, ni nouvelle marque, ni mise à niveau du système informatique... On ne garde pas non plus le logo, ni l'identité ou les valeurs qui font notre réseau, pour être absorbés directement par le groupe Société Générale", affirme Ysabel Guadamuro, déléguée CFDT Banque-Rhône-Alpes, l'un des deux syndicats majoritaires avec le SNB/CFE-CGC, à l'échelle du réseau Crédit du Nord.

"Cela confirme le principe d'absorption : plutôt que cela, on aurait préféré qu'ils trouvent une autre marque. De plus, on ne nous parle pas beaucoup de la stratégie clients, ni des objectifs commerciaux ou des clientèles qui seront ciblées... Or, on sait très bien que ce type d'opérations peut générer des risques de pertes de clientèle", complète Gilles Boubon, représentant UNSA pour la Banque Rhône-Alpes, qui glisse également que rien n'est fait pour lier les ADN, encore très distincts, des deux groupes. "Nous n'étions pas dans le même type de banque que la Société Générale, le Crédit du Nord faisait plutôt du sur-mesure".

Pour Linda Faure, déléguée SNB/CFE-CGC pour la Banque Laydernier, "on parlait de créer un nouveau logo, une nouvelle banque, et de nouvelles façons de faire, mais au final, nous reprenons le logiciel informatique de la Société Générale moins bon que le nôtre, ainsi que son logo, mais aussi ses produits commerciaux et son libellé. On nous dit que l'on prendra le meilleur des réseaux, mais le compte n'y est pas, nous sommes uniquement sur une réduction de coûts".

Dans un contexte où, pour des filiales comme la Banque Rhône-Alpes, les trois quarts des 80 agences actuelles sont situées dans un périmètre proche (moins de 1,5 km) des 200 agences de la « Générale » comme on l'appelle déjà, les craintes en matière d'emploi sont fortes.

Car plus que la question du logo et du nom, certes emblématiques, ce sont les conséquences sociales qui sont pointées par les syndicats. A l'échelle nationale d'abord, où Michèle Bleuse, déléguée CFDT à la Banque Courtois (Toulouse) pointe du doigt les premiers chiffres : "On nous annonce 6.232 postes bruts supprimés, dont 3.724 postes net en l'espace de trois ans, ce qui fait tout de même un volume de 9.000 salariés à gérer à l'échelle nationale dont plus de 4.000 sur la seule année 2023".

Une nouvelle qui passe encore plus mal à l'aube de la prochaine assemblée générale du groupe, "où une disposition prévoit d'accorder à son directeur général Frédéric Oudéa une augmentation de sa rémunération de 34%, à l'heure où on déroule un plan de plusieurs centaines de fermetures d'agences", dénonce la CFDT.

En plus d'une surcharge de travail crainte par les salariés, qui se verraient ainsi à la tête d'un portefeuille clients plus large, "nous avons également appris que le projet de la direction comprenait à la fois le basculement des clients les moins rentables vers des activités de banque à distance, ainsi que la suppression du poste d'agent d'accueil, qui était systématiquement présents dans les agences de 10 salariés, afin qu'il soit remplacé par une rotation des autres agents à ce poste", explique Michèle Bleuse.

L'impact social toujours pas complètement livré

Situation qui se double d'une forme "d'opacité" qui demeure sur les chiffres régionaux dénoncée par les syndicats, CFDT en tête : "Les salariés sont désormais nombreux à venir nous voir pour nous demander s'ils seront concernés, et nous ne sommes pas en mesure de leur répondre. Tout le monde est encore dans l'inconnue", déplore Ysabel Guadamuro.

Les représentants des salariés dénoncent l'absence de réponse de leur direction sur des enjeux clés : "Un an et demi plus tard, la direction n'est toujours pas en mesure de nous dire quels sont les postes qui seront supprimés. Les salariés sont déjà appelés à réfléchir à leur avenir mais seulement, ils n'ont pas accès ni à la liste des postes supprimés, ni à ceux qui seront ouverts en face. Ils devront se positionner dans une bourse aux emplois qui sera ouverte au sein du groupe, et dont les conditions demeurent floues", ajoute Gilles Boubon.

"On nous dit que ce seront les meilleurs qui seront conservés, ce qui crée déjà une compétition au sein même des équipes. Nous nous battons afin que chaque salarié trouve sa place et qu'il n'y ait pas d'accroissement des risques psychosociaux", atteste Linda Faure, déléguée SNB/CFE-CGC.

Selon le baromètre annuel établi par l'institut Ipsos, mesurant chaque année le moral des collaborateurs au sein du réseau du Crédit du Nord, "c'est la première fois en 9 ans que les indicateurs de confiance chutent à ce point. Quand on leur demande par exemple s'ils ont confiance dans les décisions prises par le siège de la Société Générale, les salariés ne répondent oui qu'à 44%, soit une baisse de 15% par rapport à l'an dernier", constate Robin Chini, délégué SNB/CFE-CGC à la Société Marseillaise de Crédit (SMC).

Car côté chiffres également, les informations fournies par la direction demeurent parcellaires : si les cibles à atteindre ont été bel et bien identifiées dès le mois d'octobre 2020 à l'échelle nationale, le détail des réductions d'agences et suppressions de postes n'est toujours pas connu dans l'ensemble des 9 filiales du Crédit du Nord, région Auvergne Rhône-Alpes comprise.

Pour l'heure, ces trois établissements régionaux emploient en effet 1.035 collaborateurs et 133 agences à travers trois marques distinctes (la Banque Rhône-Alpes, dont le siège se trouve en Isère, la Banque Laydernier en Savoie et la Banque Nuger en Auvergne), contre 2.000 collaborateurs et 200 agences pour la Société Générale (ainsi qu'un centre de relation clients, d'un back-office et de plusieurs centres d'affaires locaux et régionaux).

Le chantier de la fusion des agences

Et déjà, le nouveau directeur régional Didier Pariset ne cachait pas que "l'intérêt de la fusion" passait par "l'optimisation du maillage et le regroupement les agences", rappelant au passage que "60 % des agences du Crédit du Nord se trouvent actuellement à moins d'un kilomètre de celles de la Société Générale".

Selon les syndicats, les effectifs pourraient ainsi baisser de manière très disparate en fonction des sites : une trentaine de suppressions de postes (sur 144) est ainsi attendue par exemple dans le réseau de la banque Nuger dans le Puy-de-Dôme, avec la disparition du siège de Clermont-Ferrand et la fusion de 6 agences sur 17 avec le réseau de la SG.

A Grenoble, la Banque Rhône-Alpes serait concernée par 52 fusions d'agences tandis que ses 550 collaborateurs viendraient ainsi s'ajouter à ceux de la Société Générale sur le même périmètre, "pour une cible fixée à 1.990 salariés soit 350 postes supprimés".

La Banque Laydernier observerait quant à elle l'un des plus gros impacts de ce projet de fusion, avec 21 de ses 38 agences soumises à une fusion et l'objectif d'associer ses 368 postes actuels à ceux de sa cousine la Générale pour atteindre une cible de 278 collaborateurs restants, soit 90 postes en moins à périmètre égal.

"La Banque Laydernier enregistre une cible plus importante que la moyenne nationale, où les réductions d'effectifs n'atteignent que 18% contre 29,% sur les deux Savoies. Il faut aussi noter que nos services de back-offices disparaissent au profit des "filières" de la Société Générale situés dans les grandes villes (Lyon, Lille... ), ce qui supprimerait 17,5 postes exclusivement pour la Banque Laydernier", atteste Joséphine Laforêt, déléguée CFDT pour la Banque Laydernier.

"Nous n'avons pas d'informations sur les impacts individuels à ce stade pour éviter le côté anxiogène et ne pas accélérer les démissions anticipées", ajoute Linda Faure, déléguée SNB/CFE-CGC pour la Banque Laydernier. Une position qui nourrirait cependant les craintes des collaborateurs : "Tout le monde se sent sur la sellette, les salariés ne savent même pas si leur poste sera éligible au départ, ni s'ils seront éligibles à un reclassement", déplore Joséphine Laforêt.

"Les DHR doivent recevoir les collaborateurs entre avril et septembre prochain pour qu'ils puissent exprimer leurs voeux. Ensuite, des départs commenceront à compter du 1er juin 2023 et jusqu'en 2025, en commençant par les fonctions du siège et réseau", énumère Gilles Boubon, représentant UNSA.

Les questions qui s'ajoutent pour les syndicats

Parmi les difficultés inhérentes à ce rapprochement, le chantier informatique, mis en exergue pour ses facteurs de risques jugés "exponentiels" par le rapport Secafi, serait désormais prévu pour une mise en musique dès avril 2022, en deux phases plutôt que trois, et désormais sur la base du réseau existant de la Société Générale.

"Là encore, il s'agit d'un facteur d'incompréhension car les faiblesses de ce système ont déjà été pointés lors des précédents rapports", fait valoir Michèle Bleuse.

La CFDT dénonce également la nature du process d'information-consultation dont s'est saisi le groupe, de manière uniquement informative : "le principe de la consultation est dévoyée, nous leur avons fait part de deux rapports d'expertises alarmants sur lesquels nous n'avons pas obtenu de réelle réponse. Le processus continue de se dérouler comme si de rien n'était", dénonce Michèle Bleuse, qui juge également "inquiétant" le fait que le responsable du pôle informatique de la Société Générale ait démissionné peu de temps après l'annonce de la fusion.

Le redécoupage en 11 régions d'activité posera également d'un point de vue opérationnel mais aussi politique, la question celle des instances représentatives du personnel, que le groupe entendrait mener en deux phases : la dissolution, dans un premier temps, des instances représentatives du Crédit du Nord à la date de la fusion au 1er janvier 2022, et qui devraient ensuite laisser place à de nouvelles instances renouvelées, après la mise en place de nouvelles élections, prévues à l'automne 2023.

Actuellement, des discussions se poursuivent entre syndicats et direction à ce sujet, notamment en vue d'établir le nombre de délégués syndicaux de ce nouvel ensemble de 27.800 salariés, et qui devrait nécessairement aboutir à une forte réduction du nombre de représentants.

Une autre question qui demeure en suspens : "comment seront représentés entre temps les salariés du réseau, durant cette période très critique et anxiogène où devraient justement être précisé le plan du futur maillage des agences ainsi que la mise en oeuvre des premiers départs ? Officiellement, ce seront les délégués de la Société Générale qui seront consultés, mais comment pourront-ils représenter l'ensemble des salariés du Crédit du Nord qui étaient jusqu'ici dans une entité séparée et dont ils ne connaissent pas le quotidien ?", déplorent les délégués CFDT.

Selon les représentants du personnel, le détail des postes concernés ainsi que de ceux soumis au reclassement interne ne devraient pas être communiqués avant octobre 2022. Soit près de deux ans après l'annonce de la fusion elle-même, et des chiffres arguant de ses gains financiers pour le groupe.

"On voit bien que l'on est sur une logique de rationalisation des coûts, avec les projets de suppressions de postes et la disparition des entités régionales, alors qu'en parallèle, les Centres de Relations Clients (CRC) pour la banque à distance auront des effectifs en augmentation de 7,1 %. C'est un paradoxe, lorsque l'on sait que ces entités ont plus de mal à recruter et disposent d'un plus fort taux de turnover, par manque d'attractivité. On peut aussi se poser la question de ce que va devenir la banque de détail physique", ajoute Linda Faure, au SNB/CFE-CGC.

En attendant, les syndicats ont alerté une première fois des responsables politiques de la scène locale et nationale, dont la présidente du Grand Annecy Frédérique Lardet, la présidente PS de la Région Occitanie et des Régions de France Carole Delga, ou encore le sénateur PS et président de la commission des finances, Claude Raynal. Sans réponse à ce stade.

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