Les taux d'intérêt du crédit immobilier remontent, et vite ! C'est du moins le cri d'alarme des courtiers en crédit immobilier qui notent, les uns après les autres, sur la base des nouveaux barèmes des banques pour le mois de mai, une tendance haussière de plus en plus marquée. VousFinancer pointe désormais un taux moyen de 1,5% sur un crédit à 20 ans (une maturité qui représente plus de la moitié des crédits accordés) et la Centrale de Financement s'inquiète d'un emballement du coût du crédit, en hausse de plus 20% par rapport à mars et de plus 50% depuis janvier.
Le mouvement est réel et largement prévisible. Les anticipations d'inflation sont plus élevées et les marchés subissent un choc sur les taux, avec un OAT (obligation assimilable du Trésor) à 10 ans qui a gagné 120 points de base en trois mois. Cette obligation du Trésor français a même franchi il y a quelques jours le seuil des 1,5%. Les banques doivent en tenir compte et se montrer vigilantes dans l'affichage de leurs conditions de crédit.
Une hausse des taux contenue
Il n'en reste pas moins que la hausse des taux est contenue, sinon modérée (surtout au regard de l'inflation). Selon les chiffres de la Banque de France, publiés jeudi dernier, les taux moyens pratiqués (hors assurance et sûreté) ont atteint 1,17% en avril, contre 1,1% en décembre, soit une hausse de 7 points de base. L'Observatoire Crédit Logement/CSA fait état de son côté d'une augmentation de 21 points de base depuis décembre, avec une nette accélération en mars et avril (17 points de base contre 4 points en janvier et février). Et précise que toutes les catégories d'emprunteurs et de durées de prêts sont concernées.
De l'avis général, cette hausse va se poursuivre. Mais elle restera mesurée, ne serait-ce que par l'effet plafond du taux d'usure.
« Nous sommes dans une période assez difficile à prédire car nous sommes clairement dans une période d'inversion des taux. Les taux restent bas, mais il existe une pression à la hausse. Mais les taux ne peuvent en aucun cas monter très vite car les banques sont tenues de respecter le taux d'usure qui est mordant, à la hausse comme à la baisse », soulignait ainsi Philippe Brassac, directeur général de Crédit Agricole SA, lors de la présentation des résultats du groupe début mai.
Désignant le taux annuel effectif global (TAEG) maximal auquel les banques et les autres établissements de crédit peuvent prêter de l'argent, le taux d'usure, révisé chaque trimestre, vient d'ailleurs d'être abaissé en avril à 2,43% (assurance incluse). Ce qui laisse peu de marge pour une hausse des barèmes du moins jusqu'à juin. Ensuite, ce taux sera progressivement revu à la hausse trimestre après trimestre, sur la base de la moyenne des taux du trimestre précédent. De quoi brider la hausse, du moins jusqu'au début de l'année prochaine.
Une production en baisse
Parallèlement, la production de crédit immobilier ralentit. Après un pic de production durant l'été 2021, la production a de fait commencé à reculer au quatrième trimestre, un mouvement confirmé au premier trimestre 2022. Certes, les banques affichent toujours une solide activité dans le crédit immobilier mais elles bénéficient surtout d'un effet de base avantageux après un premier trimestre 2021 calamiteux. Ce qui permet ainsi à la banque LCL d'afficher une hausse de 40% de sa production au premier trimestre 2022. Mais il existe un effet de latence important : la production est le résultat de dossiers accordés trois ou quatre mois auparavant.
« Il y a une réalité qui s'impose : le marché se dégrade, même si la forte baisse en mars, en raison d'un climat particulièrement anxiogène, sera en partie compensée en avril. La légère progression de la production, à la fin avril, en glissement annuel, s'explique pour l'essentiel par un effet de base », note Michel Mouillart, professeur des Universités et conseiller scientifique auprès du Crédit Logement. En nombre de prêts accordés, l'inflexion du marché est plus prononcée encore. Selon l'Observatoire Crédit Logement/CSA, le nombre de prêts, en glissement trimestriel, est en recul de 10% fin avril, et même de près de 15% en mars et avril.
Des contraintes réglementaires depuis le 1er janvier
Ce tassement du marché du crédit s'explique-t-il pour autant par la remontée des taux ? Michel Mouillart n'y croit pas : « Il ne faut pas se tromper sur le diagnostic. Ce qui affaiblit le marché, c'est certes la dégradation du contexte, mais aussi la recommandation du Haut comité de Sécurité financière (HCSF) qui a pris un caractère obligatoire depuis le 1er janvier ». Cette recommandation, désormais contraignante des banques, limite notamment le taux d'effort des ménages à 35% du revenu.
Or, à la fin décembre, selon l'ACPR, encore 15% des crédits immobiliers étaient en dehors des clous. Mais à partir de janvier, les banques ont bien été obligées d'appliquer strictement les règles, avec derrière, des catégories d'emprunteurs, pour l'essentiel les ménages les plus modestes, qui n'ont plus accès au crédit.
Philippe Brassac ne dit pas autre chose : « Même si cela ne se voit pas dans les chiffres, nous avons constaté de multiples situations de clients qui sont de facto exclus du crédit immobilier par les règles du HCSF, lequel n'a pas voulu intégrer les critères que nous avons l'habitude de pratiquer. Nous comprenons l'intention du HSCF mais pas la méthode, qui n'est pas assez fine pour tenir compte de la réalité des situations individuelles ».
Un marché qui change profondément
Plus que l'effet taux, c'est, selon ces experts, le choc de la réglementation qui est en train de changer profondément le marché du crédit, avec derrière, des impacts en termes d'activité pour le secteur immobilier. Et le secteur ne tourne pas rond. La dernière enquête Insee auprès des promoteurs confirme un affaiblissement de la demande dans le "neuf". La construction de maisons individuelles est également en repli au premier trimestre, et ce, pour des mises en chantier prévues à partir de l'automne.
Dans "l'ancien", la situation n'est pas meilleure : selon le baromètre LPI-Se Loger (3.500 agences immobilières), les achats de logements anciens ont reculé de 23,6% au cours du premier trimestre, en glissement annuel. Et sur les quatre premiers mois de l'année, les compromis en vente ont baissé de près de 15%. Toutefois, "l'ancien devrait se maintenir sur des volumes élevés, sans atteindre les pics de 2019 ou 2021.
Des prix qui restent élevés
Simple ajustement après des années de hausse ? Les prix de l'immobilier continuent de grimper, et selon Michel Mouillart, « je ne vois pas aujourd'hui de facteurs qui pourraient contribuer au ralentissement des prix de l'immobilier.»
« Le marché de l'immobilier est en train de se transformer rapidement et les ménages les plus modestes, ceux qui achètent des petites surfaces ou des biens en périphérie de métropoles, sont en train d'être exclus du marché. Ils devront sans doute se retourner vers le logement social ou les passoires thermiques pour se loger », estime Michel Mouillart. Une analyse contestée par Bercy qui s'accroche aux bons chiffres de production de crédit et de rares dispositifs de soutien (prêt à taux zéro, PrimeRenov ...), peu convaincants. Au final, comme le note Crédit Logement, il y a bien moins de crédits mais sur montants moyens plus importants.
La tendance ne devrait pas se retourner avant sitôt. Et l'accession à la propriété n'a jamais été une priorité, ni pour l'actuelle majorité, ni pour les prétendants.
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