Jean-Luc Mélenchon à Nimes lors d'un précédent meeting de LFI, le 5 avril 2019

Jean-Luc Mélenchon à Nimes lors d'un précédent meeting de LFI, le 5 avril 2019

afp.com/SYLVAIN THOMAS

Impossible de comprendre Jean-Luc Mélenchon sans comprendre sa fascination pour l'Amérique latine, pour Fidel Castro et pour Hugo Chavez. Et personne n'est mieux placé qu'Elizabeth Burgos pour analyser les ressorts du leader de la France insoumise, qui a construit sa rhétorique populiste, son discours sur une nouvelle Constitution ou son antiaméricanisme en s'inspirant de ses mentors latinos, parés des vertus d'une supposée "virginité".

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Historienne, anthropologue, écrivain et spécialiste de l'ethno-psychanalyse, cette Franco-vénézuélienne est aujourd'hui l'une des meilleures - si ce n'est "la" meilleure - spécialistes des gauches latino-américaines à l'échelle mondiale. Première épouse de Régis Debray, elle fut longtemps proche de Fidel Castro avant de rompre avec le régime cubain en 1971 (au moment du simulacre de procès contre le poète Heberto Padilla) avant de devenir l'une des critiques les plus féroces et les mieux informées de la dictature cubaine. Proches de nombreux intellectuels et dirigeants politiques latino-américains (Salvador Allende) et espagnols (Alfonso Guerra, le vice-président de Felipe Gonzalez) des soixante dernières années, elle a dirigé la maison de l'Amérique latine à Paris sous François Mitterrand.

Elisabeth Burgos

"Fidel est avant tout un énorme séducteur très conscient de son charisme, analyse l'historienne Elisabeth Burgos.

© / D.Balicki/L'Express

En 1983, c'est elle qui rédige et fait éditer l'autobiographie de la Guatémaltèque Rigoberta Menchu, Moi, Rigoberta Menchu, ce qui vaudra à cette dernière de recevoir le prix Nobel de la paix. La même année, elle joue un rôle discret dans l'arrestation en Bolivie et l'extradition vers la France du nazi Klaus Barbie, alias "le Boucher de Lyon". Dans Fille de révolutionnaires (Stock, 2017) sa fille Laurence Debray évoque longuement la trajectoire d'Elizabeth Burgos, qui voit en Jean-Luc Mélenchon un sous-produit du "caudillisme" latino... "En suivant cette voie, on se dirige vers des dérives que les Français ne peuvent même pas s'imaginer mais, moi, j'ai les vues au Venezuela" avertit-elle. Entretien.

L'Express : Comment expliquez-vous cette obsession de Jean-Luc Mélenchon pour l'Amérique latine ?

Elizabeth Burgos : Mélenchon a raconté lui-même comment sa rencontre avec Hugo Chavez en 2012 lui a permis de comprendre le lien entre un leader et son peuple. Ce fut pour lui une expérience si forte qu'elle l'a conduit à bouleverser sa manière de s'exprimer, de s'adresser à la foule et "à travailler d'une autre manière". Mélenchon a compris l'intérêt politique de cultiver la rupture entre la masse populaire et les élites, souvent désignées par les vocables "oligarchie" ou "caste". Mélenchon assume sans pudeur un populisme qui, selon les canons latino-américains, exacerbe le discours victimaire et s'éloigne de la notion de citoyenneté au profit des questions identitaires, communautaires, ethniques, religieuses. Ce discours transforme les justes revendications des citoyens en une politique du ressentiment, nourriture par excellence d'une guerre civile latente.

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Mélenchon est un homme très émotionnel, et un vrai acteur qui fait des performances. Sa gestuelle s'inspire de Fidel Castro, jusqu'à l'index relevé. Mélenchon a des origines espagnoles, il est né à Tanger, se définit comme un Méditerranéen. Son imaginaire le dirige vers ce côté émotif et spontané de l'Amérique latine, deux caractéristiques qui, au passage, sont les principaux freins empêchant cette région du monde de se moderniser.

3383 JHugo Chavez et Jean-Luc Melenchon en 2012 à Caracas en juillet 2012.

Hugo Chavez et Jean-Luc Melenchon en 2012 à Caracas en juillet 2012.

© / AFP PHOTO/JUAN BARRETO

Aussi, Mélenchon déploie des techniques de guerre de guérillas. Il harcèle sans répit, frappe là où on l'attend le moins, vitupère, offense ses ennemis, attaque par surprise. Il applique à la vie démocratique la théorie des "focos" (foyer) de Che Guevara qui consiste à multiplier les foyers de guérilla pour épuiser l'ennemi. Car Mélenchon n'a pas d'adversaires mais des ennemis.

C'est ainsi qu'il faut comprendre ses attaques contre la police et tous les organismes chargés de la sécurité et du maintien de l'ordre. Il s'agit d'un précepte léniniste selon lequel, en substance, le préalable à la prise du pouvoir est l'affaiblissement des piliers institutionnels qui soutiennent l'Etat. Mélenchon va jusqu'à prétendre l'existence d'un racisme d'État en France, par exemple dans la police. Cette version de la société fragmentée en catégories raciales, est d'abord apparue au Venezuela, dans la bouche de Chávez, lorsqu'il menait ses campagnes électorales. C'était une pure manipulation car le Venezuela est le pays le plus métissé du continent; les clivages sont davantage d'ordre social, culturel ou économique. La question raciale en tant que hiérarchie sociale, ne se manifeste pas de la même manière que dans les autres pays latino-américains à forte population indigène.

Comme Castro, Mélenchon sait lui aussi se montrer pragmatique

Comment s'explique la fascination de Mélenchon pour la "révolution" ?

Il y a là un aspect générationnel. Mélenchon est un produit de la gauche des années 1970, qui cultivait une fascination pour la révolution cubaine et la résistance de cette île contre les Etats-Unis. Pour cette génération, Castro passait pour un héros. A la mort du "Lider Maximo" en 2016, Mélenchon lui a d'ailleurs rendu un vibrant hommage, déclarant que "c'est dans l'exemple de nos héros que nous puisons sans cesse les leçons et l'énergie dont nous avons besoin pour continuer à ouvrir le chemin qu'en leur temps, en leur place, ils ont d'abord dégagé". L'ironie, c'est que l'héroïsme physique de Castro est très relatif. Lors de l'attaque de la caserne de Moncada en 1953 (dans la ville de Santiago), qui est l'acte fondateur de la révolution cubaine, il n'est même pas monté au front. L'un des participants, Mario Chanes de Armas qui fut un castriste de la première heure (mais que Castro a ensuite fait emprisonner pendant plus de trente ans!) m'a raconté que le "Fidel" avait ensuite expliqué à ses compagnons d'armes qu'il s'était égaré en ville et n'avait pas pu s'approcher de la Moncada...

Elizabeth Burgos et Fidel Castro à La Havane au milieu des années 1960

Elizabeth Burgos et Fidel Castro à La Havane au milieu des années 1960

© / Coll. privée

Qu'a retenu Mélenchon du castrisme ?

Que l'émotionnel est essentiel, et que c'est avec ça qu'on séduit les masses. Le líder máximo doit se tenir en état de communication permanente ; appeler sans relâche à la volonté du peuple. Si le peuple se maintient en état de mobilisation émotionnelle permanente il peut tout supporter ; les pénuries, le froid, la faim, les ouragans ; j'ai pu le constater à Cuba. Et cela reste possible aussi longtemps que le caudillo maintient son pouvoir de séduction, d'envoûtement. Le grand psychiatre lacanien Jean Bergès disait que certaines personnalités à tendance obsessionnelle pouvaient exercer un pouvoir et communiquer avec l'inconscient d'autrui afin d'influencer leur volonté. Hitler, Staline, Mussolini mais aussi Castro en sont les exemples les plus significatifs.

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Dans la biographie écrite par Ignacio Ramonet, Fidel Castro affirme : "Nous avons toujours su nous adapter au temps". C'est une phrase clé. Castro est un grand pragmatique, pour qui tous les moyens sont bons afin d'arriver au but. Il n'a pas hésité, par exemple, à soutenir le trafic de drogue dans les années 1980, car c'était une source de financement pour sa révolution [une fois démasqué par les Américains, Castro a fait porter le chapeau à ses subalternes, notamment le général Ochoa, qu'il a fait fusiller en 1989, NDLR]. En plus, la cocaïne était une arme contre l'ennemi américain, qui consommait cette drogue. D'un point de vue moral, ce trafic était donc parfaitement justifiable à ses yeux. Mélenchon sait lui aussi se montrer pragmatique. Après avoir longtemps tenu un discours républicain très fort, il n'a pas hésité à donner des gages à un électorat de banlieue, de sensibilité musulmane, allant jusqu'à participer à la manifestation contre l'islamophobie en 2019. Pour lui, toute critique de l'islam, comme il y a eu en France une critique du catholicisme, est désormais assimilée à du racisme. Par opportunisme électoral, il s'est parfaitement adapté à cette nouvelle gauche en mettant davantage l'accent sur la question ethnique.

Il faut aussi se rappeler que Mélenchon vient du groupe trotskiste lambertiste, comme Lionel Jospin. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si Mélenchon a été ministre sous Jospin. Pierre Boussel, alias "Pierre Lambert", était une sorte de mystique, de militant rigide comme l'étaient jadis les militants marxistes. Henri Weber, lui aussi ancien trotskiste mais d'une autre tendance, écrit dans une publication de 1971 parue chez Maspero que la calomnie est d'un usage systématique chez les lambertistes et que leur vision du monde se caractérise par son catastrophisme simplificateur et apocalyptique. Lambert, dont on n'a même pas de photo jeune, était comme un jésuite, avec un cadre intellectuel très fort. Il a joué à fond l'entrisme. Avec sa connaissance appuyée du fonctionnement de l'Etat français, il a infiltré les organisations de gauche, les syndicats mais aussi les fonctionnaires d'État dans les ministères et administrations. Dans la culture communiste, les militants et cadres les plus compétents sont les trotskistes, qui sont à la fois en opposition contre la bourgeoisie mais aussi les autres communistes. Un trotskiste, ce n'est pas un petit militant qui colle des affiches; c'est quelqu'un qui possède une structure intellectuelle, un cadre d'action et qui pratique la polémique. Mélenchon est l'héritier de cette culture.

Comme Chavez, Mélenchon se croit être le messie du monde

Que vous inspire sa volonté de passer à une VIe République à travers un référendum, puis la constitution d'une Assemblée constituante ?

J'ai personnellement vécu l'expérience des dictatures de droite au Venezuela, puis de gauche à Cuba et maintenant celle instaurée par Chávez et prolongée par Maduro au Venezuela. Lorsqu'on me parle de référendum et qu'on m'explique que le peuple va choisir la nouvelle Constitution, cela me saisit d'effroi. Chavez a tenu exactement le même discours pour s'emparer du Venezuela. Quand j'entends Mélenchon parler de VIe République, j'entends Chavez. Sauf qu'au Venezuela, on est passé de la IVe à la Ve République. Et il ne faut pas confondre Cuba et le Venezuela. Fidel Castro avait renversé un dictateur, Fulgencio Batista. Mais le Venezuela, lui, était un Etat démocratique, il n'y avait aucune raison de changer de Constitution. Sauf que les leaders populistes veulent créer des institutions à la mesure de leur propre projet. L'idéologie castro-populiste, qui excelle dans l'art de "s'adapter aux temps", a évolué. On est passé du dogme de la lutte armée à l'instrumentalisation de la démocratie. Il s'agit pour les "révolutionnaires" d'aujourd'hui de subvertir la démocratie de l'intérieur afin de créer des institutions à la mesure de leur projet antidémocratique.

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Car, posons-nous sérieusement la question : l'actuelle Constitution française ne vaut-elle vraiment rien ? Emmanuel Macron serait-il un dictateur ? Il faut quand même garder un peu de sens commun, et ne pas se laisser subjuguer par ce genre de rhétorique fondée sur l'émotionnel. Les Insoumis veulent une nouvelle Constitution qui ferait suite à un référendum. Mais qu'y aura-t-il dans cette Constitution ? Au Venezuela, cela a débouché sur l'élection illimitée de Chavez, puis de Maduro. Le régime chaviste est en place depuis bientôt un quart de siècle... En suivant cette voie, on se dirige vers des dérives que les Français ne peuvent même pas s'imaginer mais, moi, j'ai les vues au Venezuela. Certes, la France a des institutions fortes, et saura défendre sa démocratie libérale, mais il faut faire attention. Comme Chavez, Mélenchon se croit être le messie du monde. Le mélenchonisme, c'est du messianisme à l'état pur.

Mais Jean-Luc Mélenchon avait affirmé que le Venezuela sous Chavez menait une "politique social-démocrate"...

Il a dit pareil pour au sujet de Maduro, oubliant qu'au Venezuela, le peuple n'est qu'un instrument entre les mains d'une oligarchie chaviste. Chavez a fait 24 référendums. Mais le peuple, on peut l'acheter ! Maduro a emprunté des milliards de dollars à la Chine. Celle-ci achète le pétrole vénézuélien, et en échange, Maduro distribue des machines à laver. C'est le populisme le plus vulgaire que l'on puisse imaginer. Mais surtout, ce que Mélenchon ne mentionne jamais, c'est que plus 6 millions de Vénézuéliens ont quitté leur patrie et sont en exil. Six millions ! Il y a plein de Vénézuéliens dans toute l'Amérique latine. Pourquoi sont-ils partis ? Parce qu'ils n'avaient pas l'habitude d'avoir faim...

La vérité est que le Venezuela, sous le chavisme, est passé de la démocratie au postcommunisme. En fait, le régime chaviste est une copie conforme du régime russe de Poutine avec ses oligarques, ses trafiquants de toute sorte, sa police politique, ses tortures, ses assassinats d'opposants. La politique sociale-démocrate au Venezuela a existé, mais avant Chavez, sous la IVe République avec deux partis politiques traditionnels, Action démocratique (social-démocrate) et COPEI (social-chrétien). A partir de la chute de la dictature de droite en 1958, ces deux formations ont assuré une stabilité démocratique pendant quarante ans. C'était donc la IVe République qui s'est affaiblie, notamment en raison de la chute des cours du pétrole. Hugo Chavez en a profité pour mettre fin à ce système démocratique, d'abord en tentant un coup d'État militaire en 1992, puis, après maintes péripéties, en l'emportant par la voie électorale avec le projet caché de subvertir le système par l'intérieur, sur les conseils de son mentor Fidel Castro.

Le renversement de la démocratie au Venezuela est un cas d'école. Il inaugure une nouvelle ère antidémocratique en Amérique latine. Les coups d'État militaires sont remplacés par une mécanique de prise du pouvoir plus complexe avec des complicités à différents niveaux : au sein d'une partie de l'élite, de certains groupes d'intérêts financiers, d'une petite fraction de l'armée et de mouvements sociaux infiltrés par des groupes violents ; le tout épaulé par la toute-puissance des réseaux sociaux et des médias, instruments privilégiés du populisme qui permettent de contrôler l'information pour célébrer l'élection du caudillo providentiel.

Ce qui s'est passé au Venezuela me rappelle la France d'aujourd'hui : désagrégation des partis politiques traditionnels, crise de la démocratie, polarisation du discours, montée du ressentiment, etc. Si l'on y songe, l'écroulement de la social-démocratie a commencé dans mon pays natal. Hélas, presque personne en France n'observe comme il se doit les événements politiques qui surviennent dans ce continent d'outre-Atlantique. Or l'Amérique latine est un véritable thermomètre de l'Occident, je dirais, depuis 1492, date de l'arrivée des Européens sur ce continent.

Les dirigeants latino-américains ont souvent fait de beaux discours, mais il n'y a pas eu de visions pour une économie compétitive

En 2017, Mélenchon est allé jusqu'à vouloir faire adhérer la France à l'Alliance bolivarienne (ALBA)...

Mélenchon a déclaré bien connaître l'Amérique latine car il a lu une biographie de Bolivar et une autre de Che Guevara... Encore faudrait-il encore savoir quelles biographies il a lues. Car l'histoire de ce continent est très, très complexe. Par exemple, Bolivar était imprégné de messianisme. Il n'y a pas un seul document de lui où il ne fait pas mention de sa propre gloire. Bolivar a voyagé en Europe, et a été très impressionné par Napoléon. Aujourd'hui, il fait figure de mythe absolu, y compris chez Mélenchon. Chavez voulait être un nouveau Bolivar, achevant son oeuvre historique.

Concernant l'idée saugrenue de quitter l'UE et adhérer à l'ALBA comme il était prévu dans l'article 63 de son programme électoral de 2017, je ne crois pas qu'il ait pris cette décision sans avoir consulté avec la hiérarchie de cet organisme créé à La Havane à l'initiative de Fidel Castro et d'Hugo Chávez. Ces deux-là, deux dictateurs, lui ont probablement donné leur feu vert. C'est une autre caractéristique du modèle populiste castriste : le culot, oser le fait accompli.

Cela étant dit, il est vrai que la France ne saisit pas dans sa véritable dimension l'atout que l'Amérique latine représente pour elle. Elle jouit d'une grande sympathie sur l'ensemble du continent. Il existe une proximité linguistique, religieuse, et culturelle. Et il n'existe pas de traumatisme colonial entre la France et l'Amérique latine. Le seul à l'avoir compris et à avoir envisagé une mise en place d'une politique française pour l'ensemble de cette région "qui faisait partie du monde occidental" fut le général de Gaulle. Son long périple sur l'ensemble du continent en 1964 en est la preuve et signifiait le premier pas vers ce projet que personne n'a poursuivi après lui.

L'antiaméricanisme de Mélenchon semble être la clé de toutes ses positions sur le plan international, jusqu'à l'Ukraine...

Cet anti-impérialisme contre les Etats-Unis est une obsession latino-américaine. Il y a un fait réel : les Etats-Unis se sont approprié Porto Rico et Cuba, ainsi que les Philippines, à la suite de la guerre hispano-américaine de 1898. Ils ont eu une pensée impériale, qui a provoqué une forte réaction dans le monde latino-américain. Déjà le poète cubain José Marti (mort en 1895), fondateur du Parti révolutionnaire cubain, présentait les Américains comme des personnes aimant trop le commerce, l'argent et l'industrie, alors que les Latino-américains, eux, apprécieraient la littérature, l'esprit, les choses plus élevées. Par la suite, tous les écrivains latino-américains ont repris cette idée. Rubén Darío, le poète nicaraguayen fondateur du mouvement littéraire moderniste, a lui aussi dépeint les Nord-américains comme de vulgaires matérialistes.

L'histoire des relations entre Cuba et les Etats-Unis est bien sûr plus complexe. En fait, les liens entre ces deux pays sont étroits. Au départ, ce sont les patriotes cubains qui ont demandé de l'aide aux Américains, avant d'être écartés par eux dans les négociations avec l'Espagne. Les Etats-Unis n'ont pas transformé Cuba en colonie mais, avec l'amendement Platt voté par le Congrès en 1901 (et abrogé en 1933), ils ont officialisé le droit d'ingérence sur l'île. Les Cubains ont même à plusieurs reprises demandé une intervention américaine afin de régler leurs litiges internes, ce que les Etats-Unis ont refusé. Quoi qu'il en soit, pour les Cubains, les relations avec les Américains sont un fait traumatique, et Castro a su habilement en jouer.

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Il faut cependant garder à l'esprit que Cuba et le reste de l'Amérique latine ont des histoires différentes. L'Amérique latine s'est émancipée des Espagnols, avec Bolivar pour mythe fondateur au début du XIXe siècle. Cuba, elle, est devenue indépendante au tournant du XXe siècle. Ce sont des moments distincts. Mais Cuba, qui était le joyau de la couronne espagnole, a exercé une influence considérable sur le continent, notamment en raison de la personnalité de Castro. L'autre fait incontestable, c'est que le continent latino-américain n'a pas su créer de vraies économies nationales mais a conservé une culture économique "extractiviste" en se contentant d'extraire des matières premières de son riche sous-sol. Les dirigeants latino-américains ont souvent fait de beaux discours, mais il n'y a pas eu de visions pour une économie compétitive. Au Venezuela, Hugo Chavez est arrivé au pouvoir et il a provoqué l'effondrement de toute l'économie nationale. Idem à Cuba, qui était la troisième économie latino-américaine avant l'arrivée de Castro. Aujourd'hui, alors que l'on parle des défis technologiques, comme celui de l'intelligence artificielle, que font les Latino-américains dans ce domaine ? Ils prononcent des discours contre les Américains et s'en remettent aux Russes qui, espèrent-ils, les protégeront...

Mélenchon refuse de parler anglais, expliquant que l'espagnol lui suffit

N'est-ce pas la tradition du non-alignement défendu par Mélenchon ?

Non-aligné ? Cela ne veut rien dire. Durant la Guerre froide, les pays officiellement non-alignés étaient du côté de l'Union soviétique, à l'image de l'Égypte, de l'Inde ou des pays africains. Encore aujourd'hui, avec la guerre en Ukraine, on voit bien qu'un grand nombre de ces pays refusent de condamner la Russie à l'ONU.

Lula, l'un des modèles de Mélenchon, a déclaré que le président ukrainien Zelensky était tout aussi responsable de cette guerre que Vladimir Poutine...

Mélenchon tenait exactement la même position avant l'invasion de l'Ukraine, fustigeant l'attitude des Ukrainiens ou s'en prenant aux Etats-Unis. Mais pour les Français, encore marqués par l'exode provoqué par l'invasion allemande en 1940, ce discours de défense de Poutine n'est pas supportable. Même Marine Le Pen a dû faire marche arrière à ce sujet. En France, tenir le même discours que Lula, ce serait un suicide politique.

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Quoi qu'il en soit, les déclarations de Lula rappellent que l'Amérique latine est un laboratoire russe, un héritage de la période du non-alignement. Alexandre Douguine, le théoricien de l'eurasisme, s'est souvent rendu au Brésil, en Argentine ou en Colombie. J'ai des amis en Amérique latine qui me disent que Poutine est un "type formidable", car il lutte contre les Etats-Unis. Il y a à la fois un nationalisme latino-américain qui s'oppose aux Américains, mais aussi une proximité culturelle avec la Russie. Certains en Amérique latine partagent la vision de Poutine d'un Occident décadent.

Que vous inspire le nom d' "Union populaire" choisi pour l'alliance de la gauche pour ces législatives ?

C'est une référence à l'Unité populaire de Salvador Allende au Chili. C'est-à-dire le mythe d'une élection gagnée démocratiquement. Pour Mélenchon, cet imaginaire compte beaucoup. Il refuse d'ailleurs de parler anglais, expliquant que l'espagnol lui suffit. Mais il ne voit pas les nombreux échanges qui existent entre l'Amérique latine et les Etats-Unis ! Où est-ce que veulent aller les Latino-Américains lorsqu'ils fuient ? Aux Etats-Unis, jusqu'à risquer la noyade. Personne ne désire émigrer vers Cuba ou au Venezuela. Pas même Mélenchon...

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