Assurance-vie : la montée rapide des taux commence à devenir un sujet pour les assureurs

La collecte sur l’assurance-vie est toujours aussi dynamique. Elle atteint même un montant record depuis onze ans au premier trimestre 2021. Mais la remontée très rapide des taux d’intérêt pourrait devenir, si elle devait se poursuivre, un sujet pour les assureurs. Avec des conséquences à la fois sur la valorisation du portefeuille obligataire des fonds en euros et le comportement des assurés. Mais, pour l’heure, les assureurs mettent en avant l’inertie du placement favori des Français pour écarter un scénario du pire.
La collecte nette de l'assurance-vie atteint 8,4 milliards d'euros sur le trimestre.
La collecte nette de l'assurance-vie atteint 8,4 milliards d'euros sur le trimestre. (Crédits : DR)

L'assurance-vie va bien. Les assureurs vie aussi. Au premier trimestre, la collecte nette sur le produit d'épargne préféré des Français a même connu un record depuis onze ans à 8,4 milliards d'euros, dont 2,2 milliards d'euros pour le seul mois de mars, selon les chiffres de France Assureurs. Ni la guerre en Ukraine, ni l'inflation, ni même la spectaculaire remontée des taux d'intérêt depuis trois mois n'ont réussi à détourner les Français de l'assurance-vie.

La baisse des indices boursiers, de l'ordre de 10% depuis janvier, n'a pas non plus freiné l'engouement pour les Unités de comptes (UC) au sein des contrats : la collecte nette en mars sur les UC atteint ainsi 3,3 milliards d'euros alors que le fonds en euros (au capital garanti) poursuit sa décollecte nette, à hauteur de 1,1 milliard sur le mois.

Au total, les UC résistent à la forte volatilité des marchés, et drainent toujours 40% des cotisations (collecte brute) de l'assurance-vie au premier trimestre, contre 44% en moyenne sur l'année 2021 et... 15% en 2011. On mesure ainsi l'ampleur du chemin parcouru pour convaincre les Français de prendre un peu de risque sur leur assurance-vie, un support qui a bâti sa popularité sur sa garantie en capital (et sa fiscalité attractive).

Amélioration des ratios de solvabilité

Quant aux assureurs, ils respirent. La hausse des taux d'intérêt, avec un OAT à dix ans qui a gagné près de 140 points de base pour atteindre 1,4%, un plus haut depuis 2015, est en effet une bonne nouvelle attendue depuis...dix ans. « Le premier effet, mécanique, de la remontée des taux, est une amélioration des ratios de solvabilité », rappelle Guillaume Pierron, directeur général adjoint assurance vie individuelle de Groupama Gan Vie. Dans l'approche prudentielle Solvabilité 2, la hausse des taux permet à la fois d'améliorer le taux de couverture, selon le principe de l'actualisation des marges futures, mais surtout elle écarte les scénarios plus extrêmes, ceux qui coûtent le plus cher en fonds propres.

Le scénario d'une remontée à la fois trop rapide et durable des taux d'intérêt pourrait poser deux questions aux assureurs : l'impact sur le rendement de l'actif général des fonds en euros, toujours investi à 85% en dette obligataire dont la valorisation baisse en cas de hausse des taux, et le comportement des épargnants.

Un sujet d'attention mais pas d'inquiétudes

« Le rythme de remontée des taux est un sujet d'attention, mais pas d'inquiétudes à ce stade », avance Franck Le Vallois, directeur général de France Assureurs. « C'est bien une remontée très brutale des taux qui pourrait inquiéter. Mais, sur un horizon de moyen terme, il n'y a pas vraiment de motif d'alerte, d'autant que le montant des plus-values latentes et de la provision pour participation aux bénéfices (PPB) représente, fin 2021, 21,7% des provisions mathématiques pour l'ensemble du marché. Ce sont des poches de richesses importantes et suffisantes pour amortir un choc même violent sur les taux », estime David Dubois, directeur des partenariats chez Prévoir et ancien président de l'Institut des actuaires.

Pour l'heure, personne n'envisage ce scénario du pire et même l'OAT à 10 ans, après sa rapide progression, semble se stabiliser sous le seuil des 1,4%. Le marché anticipe 1,5% à la fin de l'année, et 2 à 2,5% « grand maximum » en 2023, selon un gérant obligataire. « Quand les taux étaient tombés à 2,5% il y a dix ans, tout le monde s'inquiétait déjà de l'avenir de l'assurance-vie », s'amuse un assureur.

« La crainte que l'on pourrait avoir serait un décalage important et rapide entre le rendement des actifs généraux, qui vont continuer à décroître, et les taux de marché », reconnaît Guillaume Pierron. En 2021, selon l'ACPR, le taux moyen servi aux assurés sur un fonds en euros était de 1,3%.

Forte inertie

Mais, ajoute l'assureur « je pense que c'est une menace assez théorique. Pour plusieurs raisons : les nouveaux acteurs n'ont pas su réellement percer le marché de l'assurance-vie, dont les barrières à l'entrée sont élevées, et les assureurs vie peuvent puiser dans leurs PPB pour amortir les années d'écart. Je pense d'ailleurs que le marché est arrivé à un plancher en matière de PPB, même si les situations peuvent être très différentes d'un assureur à l'autre ».

S'il est toujours difficile de prévoir le comportement des épargnants, l'un des forces de l'assurance-vie est sa stabilité dans le temps (excepté en 2020 lors de la crise sanitaire). La durée moyenne d'un contrat est de 12 ans et l'assurance-vie n'a jamais réellement connu de vague de rachats, susceptible de contraindre les assureurs à réaliser des moins-values latentes.

Même, dans les années 2000, la concurrence des « super livrets » n'a pas provoqué de rachats en mordant simplement sur la collecte. En résumé, il faudrait davantage s'attendre, en cas de forte hausse des taux, à une réallocation de la collecte en faveur de produits plus bancaires qu'à un mouvement de sortie de capitaux de l'assurance-vie.

« Ce n'est pas parce que les taux de marché augmentent fortement que les assurés vont décider massivement de sortir de l'assurance-vie ou du fonds en euros. Il existe une forte inertie pour des raisons certes fiscales mais aussi parce que ce produit n'est pas le terrain naturel d'un arbitrage incessant. Cet effet d'épargne de long terme peut compenser l'impact à moyen terme d'une baisse de valorisation des actifs », explique ainsi David Dubois.

Pas d'impact sur les stratégies commerciales

Reste que les nouveaux produits lancés, comme le PER ou bien Eurocroissance, pourraient profiter à moyen terme de cet appel d'air sur les taux. Les UC représentent également une alternative, permettant d'aller chercher directement du rendement sur les marchés, via des fonds obligataires.

De fait, les UC, actuellement largement investis en actions, offre un nouveau cadre plus souple permettant à l'assurance-vie de s'adapter plus vite aux conditions de marché. De plus, il existe de plus en plus de mécanismes de protection sur les UC permettant de cristalliser à date la performance pour éviter de rester trop longtemps exposé.

Pour autant, la remontée des taux va-t-elle signer le retour en force du fonds en euros ? « Dans l'hypothèse du maintien durable du taux de l'OAT à 2 ou 3 %, une collecte nette positive sur le fonds en euros ne serait plus un poison pour l'assureur. Elle deviendrait en quelque sorte plus acceptable. Mais je ne m'attends pas pour autant à un changement de stratégie des assureurs, notamment ceux qui ont beaucoup investi ces dernières années pour développer les UC. Il y aura peut-être juste un nouveau point d'équilibre entre le fonds en euros et les UC », estime Guillaume Pierron.

Les assureurs vie ont beaucoup investi ces dernières années en formation et en outils d'aide à la décision pour promouvoir les UC auprès leurs clients. « Ce serait dommage d'initier un mouvement arrière après tous ces efforts de pédagogie auprès des assurés. Les assureurs n'auraient rien à y gagner, les assurés non plus », ajoute un assureur.

Mutualistes vs capitalistes

La politique commerciale des assureurs vie diffère sensiblement d'un réseau à l'autre. Les mutuelles restent plutôt en faveur du fonds en euros, jugé plus protecteur pour les assurés, et développent avec modération les UC. « Les mutuelles sont plus présentes sur le fonds en euros par l'importance de leurs fonds propres, là où les autres acteurs développent de nouveaux modèles pour optimiser leur besoin en fonds propres », constate ainsi Cyrille Chartier-Kastler, président du cabinet Facts & Figures, qui vient de publier une étude détaillée sur la rentabilité des groupes d'assurances en France. En outre, l'activité vie est largement minoritaire chez les mutuelles niortaises et ciblée sur une clientèle plus populaire.

Les assureurs cotés, comme AXA ou Generali, ou les filiales d'assurance des groupes bancaires cotés, pilotent en revanche plus précisément leur stratégie commerciale en fonction des contraintes de solvabilité ou de rentabilité. C'est pourquoi notamment AXA promeut le contrat Eurocroissance, moins gourmand en fonds propres, ou que Swiss Life est parti très tôt sur les UC, qui représentent désormais 60% des cotisations, contre 30% en 2011.

Enfin, les bancassureurs proposent de plus en plus des fonds en euros à garantie partielle. « Les règles de Solvabilité 2 ont incité les acteurs capitalistes à se désinvestir des branches longues dans le dommage mais aussi en assurance-vie », remarque Cyrille Chartier-Kastler.

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Commentaires 2
à écrit le 29/04/2022 à 11:12
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N'oubliez pas l'intérêt croissant pour la Bourse. Par ailleurs les assureurs ont certainement l'habitude de brasser les fonds obligataires en fonction des taux d'intérêt " prévisibles ". Malheureusement la question de " l'inertie " est récurrente.

à écrit le 29/04/2022 à 8:50
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he ben si c'est un pb, qu'ils arretent les achats obligataires jusqu'a ce qu'ils aient de la visibilite; cash is king, ca evite les embrouilles........s'ils veulent un petit cours de gestion premeire annee, je veux bien leur faire ( a mon tarif, hein...

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