Ressources humaines : les nouveaux contours de la politique salariale
Engagées dans des stratégies de maîtrise de leur masse salariale, les entreprises du monde de l’assurance misent désormais sur d’autres leviers pour composer les packages de rémunération proposés à leurs collaborateurs.
NICOLAS THOUET
\ 17h00
NICOLAS THOUET
CNP Assurances, AG2R La Mondiale, Crédit agricole Assurances, Vyv…Depuis le début de l’année, les grèves se multiplient dans le monde de l’assurance. Tous ces mouvements ont un point commun : ils ont été organisés pour protester contre les évolutions de rémunération obtenues – ou pas – lors des négociations annuelles obligatoires (NAO). C’est l’occasion de répondre à un certain nombre de questions sur les politiques salariales pratiquées aujourd’hui dans le monde de l’assurance.
Pourquoi tant de protestations sur les salaires dans l’assurance ?
Si les tensions sont fortes entre les employeurs et les représentants du personnel, c’est parce que ces derniers estiment, dans de nombreuses entreprises, que leurs revendications n’ont pas été entendues. Selon notre enquête (voir tableau sur www.argusdelassurance.com), plus d’un quart des NAO dans l’assurance se sont conclues en 2022 par une décision unilatérale de l’employeur, faute d’accord. L’inflation, qui ne cesse de grimper en France, a notamment été au centre des débats. En mars dernier, les prix à la consommation ont progressé de 4,5 % sur douze mois glissants, selon l’Insee, alors qu’un an plus tôt, le même indicateur s’établissait à 1,1 %. « Dans ce contexte, pour compenser la perte de pouvoir d’achat liée à l’inflation, les salariés s’attendaient à avoir 4 à 5 % d’augmentation à l’occasion des NAO », constate Fabien Lucron, expert en rémunération variable au sein du cabinet Primeum. Or ce niveau a rarement été atteint dans le secteur. « En outre, après deux années marquées par le Covid-19 et au cours desquelles les salariés estiment avoir fait des efforts pour maintenir leur entreprise à flot durant la crise, ces derniers espéraient logiquement être récompensés collectivement », souligne Arnaud Monteil, directeur associé du cabinet Robert Walters. Un argument, là aussi, non retenu par une majorité des directions, qui n’ont finalement pas – ou peu – accordé cette année d’augmentations collectives, celles-ci pouvant peser de manière récurrente sur la masse salariale.
Chiffres
- 4,5 % La hausse des prix à la consommation sur douze mois glissants
Source : Insee, Chiffres mars 2022- 2 % L’augmentation des salaires en moyenne sur l’ensemble des postes de l’assurance, tous niveaux d’expérience confondus
Source : étude de rémunération 2022 de Robert Walters
Les politiques de maîtrise de la masse salariale vont-elles se prolonger ?
Selon l’enquête de rémunération du cabinet Robert Walters, les salaires augmenteront de 2 % en moyenne en 2022 sur l’ensemble des postes dans l’assurance, tous niveaux d’expérience confondus. Seulement, les experts interrogés n’envisagent pas forcément des lendemains meilleurs. « À cause, notamment, des effets du 100 % Santé sur les comptes, les résultats techniques des mutuelles sur leur cœur de métier ne sont pas bons », observe Olivier Arroua, cofondateur du cabinet de conseil Selenis, spécialisé dans les secteurs de la banque, de l’assurance et de la protection sociale. « Les pertes risquent de s’aggraver dans les années à venir », prévoit-il.
L’incertitude règne aussi sur d’autres pans d’activité de l’assurance. « En IARD, avec les lois qui facilitent la résiliation des contrats, les assureurs n’ont pas de visibilité sur l’évolution de leur portefeuille », indique Fabien Lucron. Selon lui, un segment jusqu’ici plutôt dynamique dans les résultats des assureurs – à savoir l’épargne / assurance vie – n’est pas non plus à l’abri de soubresauts. « L’accélération de l’inflation et les tensions géopolitiques pourraient conduire à un repli des marchés financiers. Et comme les épargnants ont tendance à arrêter d’investir quand la Bourse baisse, la collecte en UC pourrait alors être fortement impactée », estime l’expert de chez Primeum.
Cet environnement, ajouté à une concurrence toujours plus forte, pousse les entreprises du monde de l’assurance à envisager l’avenir avec prudence. Mener des politiques salariales attractives lors des prochains exercices ne ferait donc pas forcément partie des objectifs prioritaires du secteur, selon les spécialistes en rémunération.
Olivier Ruthardt, directeur général adjoint en charge des relations humaines du groupe Mlakoff Humanis
« Maintenir l’engagement collectif et renouveler les compétences »“ Beaucoup de salariés veulent des augmentations individuelles, tandis que les partenaires sociaux mettent l’accent sur les augmentations collectives. Alors que l’environnement est incertain, il nous faut maintenir l’engagement collectif, renouveler les compétences et reconnaître le talent de certains. Dans un contexte d’inflation forte, aligner ces différentes attentes est complexe. Nous avons mis en place une augmentation générale plus forte que l’an dernier (1,35 %, contre 0,4 % en 2021), avec notamment une augmentation collective annuelle de 580 € brut pour tous, en garantissant toutefois des éléments individuels de reconnaissance. ”
Comment évoluent les packages de rémunération ?
« Les salariés se focalisent souvent exclusivement sur leur fiche de paie pour savoir combien ils touchent dans leur entreprise. C’est une erreur de jugement, car le bilan social individuel (BSI) est plus représentatif », remarque Fabien Lucron. Le BSI est un document élaboré facultativement par les ressources humaines, qui comprend les différentes composantes de rémunération directe, fixe et variable (salaire de base, primes fixes, bonus…). Mais qui intègre aussi d’autres données, telles que les cotisations sociales, les formations et la rémunération différée. En tenant compte de ces informations, les collaborateurs du secteur ne sont pas les plus mal lotis. « Le monde de l’assurance a toujours été très généreux en termes d’avantages sociaux », souligne Fabien Lucron. Participation, intéressement, épargne retraite, épargne salariale, compte épargne temps (CET), RTT, congés spéciaux, couvertures des frais de santé sont autant de « dispositifs périphériques » dont bénéficient aujourd’hui les salariés de l’assurance. Depuis quelques années, les NAO sont aussi l’occasion d’actionner d’autres leviers – comme la prime Macron ou des enveloppes d’égalité professionnelle (voir ci-contre) – pour accroître les packages, notamment ceux des plus bas salaires. Et la voiture de fonction ? « Elle reste toujours un avantage en nature, peu fiscalisé, proposé aux fonctions commerciales et à certains postes de direction », souligne Fabien Lucron.
Francky Vincent, président de la fédération assurance CFE-CGC
« Nous voulons systématiquement des clauses de revoyure dans les NAO »“ Le mécontentement grandit dans le secteur de l’assurance car les augmentations collectives y sont de plus en plus bannies et que les richesses produites collectivement ne sont pas redistribuées. Les salariés ont consenti des efforts durant deux ans et ils n’ont pas été récompensés. Dans ce contexte, nous proposons l’augmentation de la participation et de l’intéressement comme évoqué dans les engagements de campagne d’Emmanuel Macron. Nous voulons aussi qu’il y ait systématiquement des clauses de revoyure dans les NAO. Comme l’inflation augmente, se revoir en septembre permettrait d’avoir une rentrée sociale dans les instances de négociation. Et pas dans la rue… ”
Quelle est la place de la rémunération variable ?
Selon l’expert en rémunération de Primeum, « de plus en plus de postes bénéficient d’une rémunération variable ». Outre les commerciaux, pour lesquels la part variable était initialement versée sous forme de commissionnement, des fonctions supports (appelées middle office), voire des administratifs (dits de back-office) touchent dorénavant une part variable via une prime sur objectif. D’après un baromètre réalisé par Primeum (1), 29 % des entreprises, tous secteurs confondus, ont même étendu la rémunération variable à l’ensemble des fonctions de leur structure. Pour améliorer, entre autres, l’expérience client, chère aux entreprises, « les assureurs introduisent désormais des critères qualitatifs dans la rémunération variable », précise Fabien Lucron.
Prime Macron, égalité professionnelle, forfait télétravail…
- Depuis 2019, les salariés peuvent bénéficier d’une prime exceptionnelle de pouvoir d’achat (Pepa), exonérée d’impôts et de prélèvements sociaux. Près de 50 % des entreprises de l’assurance de notre panel ont versée cette année cette prime dite « Macron ».
- Des enveloppes d’égalité professionnelle – pour diminuer les écarts de rémunération entre les hommes et les femmes dans les entreprises – sont désormais également allouées lors des NAO.
- Dans un contexte où la qualité de vie au travail (QVT) est de plus en plus reconnue comme stratégique dans les entreprises, les forfaits télétravail et mobilités durables sont aussi abordés à l’occasion des négociations sur les salaires.
- Autre dispositif original plébiscité chez certains acteurs de l’assurance : l’octroi de jours ouvrés de « congés anniversaire », comme à la Matmut, pour les salariés avec quarante ans d’ancienneté.
Quels sont les métiers dont les salaires continuent à augmenter fortement ?
Si les augmentations générales sont mesurées dans le monde de l’assurance, certaines fonctions tirent toutefois leur épingle du jeu. Les profils très recherchés sur le marché de l’emploi obligent notamment les entreprises à mettre la main à la poche pour attirer ces talents. C’est le cas des actuaires, dont les profils sont toujours en pénurie. « Pour ce métier, la guerre de talents ne s’arrêtera que lorsque plus de formations seront proposées », indique Arnaud Monteil, de Robert Walters. Dans son étude de rémunération 2022, le cabinet de conseil estime que deux autres familles de métiers sont en première ligne dans l’assurance : le développement commercial et la gestion du risque, « de plus en plus en tension », selon le directeur associé. Pour ces postes, les entreprises n’hésitent pas à casser leur tirelire. « Les contrôleurs de gestion avec une grande expérience sont aussi des profils pour lesquels les entreprises de l’assurance sont prêtes à mettre le prix », ajoute Fabien Lucron.
Parmi les différents acteurs du monde de l’assurance, quels sont ceux qui paient le mieux ?
De l’avis général des experts interrogés, les courtiers et les compagnies d’assurance sont ceux qui rétribuent aujourd’hui le mieux leur personnel. « Les salaires proposés dans les mutuelles sont généralement moins élevés que dans les autres secteurs de l’assurance. Pour autant, il y a une relative sécurité de l’emploi, que l’on ne retrouve pas partout », précise Olivier Arroua, du cabinet Selenis. Au niveau des grilles de salaires, « les institutions de prévoyance (IP) sont assez proches des mutuelles », conclut Fabien Lucron.
(1) : Etude réalisée entre juin et septembre 2021 par le magazine Action Co en partenariat avec Primeum auprès de 268 directeurs commerciaux et directeurs d'entreprises françaises.
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