Julien Carmona « La centralisation du Crédit Mutuel met en danger notre propre organisation »

Sollicité en mars pour succéder à Jean-Pierre Denis à la tête du Crédit Mutuel Arkéa, Julien Carmona a été désigné président du groupe bancaire breton le 4 juin. Avec la directrice générale Hélène Bernicot et la dg déléguée Anne Le Goff, l’ex-directeur général délégué du groupe immobilier Nexity entend concrétiser les projets du plan « Transitions 2024 » et défend la stratégie d’indépendance.
Julien Carmona: « Nous avons pu développer  un modèle différent et avoir tous les attributs d'un groupe indépendant, en termes d'informatique, d'accès aux financements, avec notre propre notation et filiales spécialisées, dans le cadre d'une autonomie relative au sein de la confédération. Je crois que nous sommes aujourd'hui en train d'arriver au bout de cette logique.»
Julien Carmona: « Nous avons pu développer un modèle différent et avoir tous les attributs d'un groupe indépendant, en termes d'informatique, d'accès aux financements, avec notre propre notation et filiales spécialisées, dans le cadre d'une autonomie relative au sein de la confédération. Je crois que nous sommes aujourd'hui en train d'arriver au bout de cette logique.» (Crédits : Nexity Christophe Rousseau)

Élu administrateur pour un mandat de trois ans renouvelables lors de l'assemblée générale du Crédit Mutuel Arkéa le 11 mai dernier, Julien Carmona, 50 ans, a été désigné à l'unanimité président du groupe bancaire coopératif breton, vendredi 4 juin.

Né à Lannion (22), l'ex-directeur général délégué du groupe immobilier Nexity et ancien directeur financier de BPCE (Caisse d'Épargne) a succédé à Jean-Pierre Denis.

Indiquant se retrouver dans les valeurs du groupe mutualiste breton, Julien Carmona compte poursuivre le Plan Transitions 2024 au service du développement économique en région et arracher, par le dialogue, l'indépendance ou la totale autonomie

LA TRIBUNE - Pourquoi avez-vous accepté de présenter votre candidature ?

JULIEN CARMONA - A titre personnel, je souhaitais revenir dans les métiers de la banque et de l'assurance, qui touchent d'ailleurs de près l'univers de l'immobilier. Ensuite, j'ai noué avec Jean-Pierre Denis, une relation de longue date. J'ai beaucoup de respect pour l'homme et pour son parcours. Enfin, j'ai une attirance particulière pour le modèle singulier défendu par le Crédit Mutuel Arkéa. Ce n'est pas un mastodonte de la finance mais cette banque a su montrer son caractère à la fois innovant et entrepreneurial. J'ai pu le constater notamment lorsqu'elle est devenue un partenaire majeur de Nexity en 2015 alors que les autres grandes institutions financières se désengageaient du secteur immobilier.

Qu'est-ce-qui fait la force du modèle mutualiste ?

Le modèle mutualiste et coopératif favorise la proximité et la participation des sociétaires. Ces dernières années, il est finalement apparu plus moderne et efficace que celui de la banque capitaliste. Rejoindre un groupe coopératif permettant de travailler sur un temps long, plutôt que sur le court-terme, représente un projet formidable. Le Plan Transitions 2024, élaboré sous l'égide d'Hélène Bernicot et qui prévoit notamment d'étoffer la gamme d'offres et de produits à impact, correspond aussi pleinement au cheminement dans lequel je me trouve.

Quels sont, selon vous, les atouts du Crédit Mutuel Arkéa dans un secteur de la banque de détail en plein doute ?

C'est un groupe diversifié, avec une appétence au risque modéré, mais qui repose sur quatre piliers à peu près équivalents. Outre la banque de détail, avec ses positions fortes en Bretagne et ses positions de challenger dans le Sud-Ouest, s'ajoute notre banque en ligne Fortuneo, qui a toujours été rentable.

Depuis une vingtaine d'années, nous avons aussi développé une banque pour les entreprises et les institutionnels à compétence nationale. Un pari osé qui nous a permis de devenir une banque de référence sur les PME et les ETI, avec une forte focalisation sur le secteur numérique et les fintechs. Suivant la logique entrepreneuriale, nous avons également misé, à contrecourant du secteur, sur le capital investissement, guère encouragé par la réglementation prudentielle.

Cette activité s'inscrit pleinement dans notre stratégie de développement des territoires et représente près d'un milliard d'euros investis, soit 15% de nos fonds propres. Un record absolu, loin devant toutes les banques françaises. Enfin, dernier pilier, les filiales spécialisées et le pôle d'assurance dont le rayonnement dépasse bien souvent nos territoires.

Arkéa, c'est aussi une activité B2B ?

Je ne l'oublie pas. Issue du service titres développé en parallèle de Fortuneo,  elle affiche une forte croissance et représente déjà environ 17% de notre chiffre d'affaires. L'idée est bien de mutualiser notre plateforme informatique et de l'ouvrir à des partenaires extérieurs. C'est dans ce cadre que nous avons conclu un partenariat avec My Money Group pour organiser la migration du système d'information de HSBC France.

Pensez-vous faire évoluer vos participations dans les fintechs ?

A l'initiative de Ronan Le Moal, la Crédit Mutuel Arkéa a investi très tôt dans ce secteur, avec finalement des tickets peu élevés. Depuis, ce portefeuille a pris beaucoup de valeur et nous pourrions être amenés à réfléchir sur d'éventuelles cessions ou arbitrages. Les valorisations sont devenues très élevées, notamment dans le domaine des paiements. Ce n'est pas notre vocation de suivre des tours de table aux montants faramineux. Mais nous allons continuer d'investir dans la fintech ou l'assurtech. C'est dans notre ADN et cela contribue à attirer des talents et à créer des innovations. Nos meilleures fintechs sont celles qui ont été incubées ou développées en interne !

Le plan stratégique a été adopté en février dernier, avant votre arrivée. Quel regard nouveau comptez-vous y apporter ?

Ce plan vise à accompagner les transitions environnementales (rénovation énergétique, agriculture durable...) et sociétales de nos clients. La transition sera l'enjeu majeur des prochaines décennies. Je m'inscris totalement dans cette démarche. Je peux y apporter des expertises dans le domaine de l'immobilier durable. Nous venons d'ouvrir la filiale Arkéa Flex, qui s'appuie sur une technologie permettant la création de bâtiments flexibles et évolutifs afin de réduire l'empreinte écologique des projets. Il reste beaucoup de choses à faire, de nouveaux territoires à explorer, notamment dans la silver economy. L'innovation représente également un levier très puissant.

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Comment voyez-vous l'avenir du groupe ? Indépendant ou autonome ?

Notre avenir passe clairement par l'autonomie complète vis-à-vis de la Confédération nationale du Crédit Mutuel. Je souhaite être très clair sur ce point. Je suis non seulement lié par le mandat qui m'a été confié par les caisses locales qui ont approuvé le projet d'indépendance à une immense majorité (94%) mais je trouve que ce projet est pleinement justifié.

Il s'est enlisé, c'est vrai, dans des querelles de personnes, devenues totalement illisibles de l'extérieur. Ce dossier doit être instruit par la BCE qui a clairement d'autres priorités aujourd'hui, surtout depuis la crise sanitaire.

La Confédération nationale de Crédit mutuel et le Crédit Mutuel Alliance Fédérale défendent un modèle et une organisation très centralisés, encouragés par les superviseurs, et industriellement efficaces. Nous défendons un modèle différent, plus souple, plus ouvert et plus proche des territoires, qui a fait également ses preuves en termes de résultats et de solidité financière.

Nous avons pu le développer et avoir tous les attributs d'un groupe indépendant, en termes d'informatique, d'accès aux financements, avec notre propre notation et filiales spécialisées, dans le cadre d'une autonomie relative au sein de la confédération. Je crois que nous sommes aujourd'hui en train d'arriver au bout de cette logique, surtout dans un groupe de plus en plus industriel et centralisé.

Crédit Mutuel Arkéa a-t-il atteint une sorte de point de non-retour ?

Je ne sais pas si c'est un point de non-retour mais il faut constater que nos modèles sont devenus de plus en plus divergents pour être fondus dans une même masse. La centralisation du Crédit Mutuel met tout simplement en danger notre propre organisation, l'avenir de nos centres de décisions, de notre informatique, de nos filiales, et par conséquence, des milliers d'emplois dans nos territoires. Quel intérêt d'avoir deux systèmes informatiques ou deux assureurs, sans liens entre eux, au sein d'un même groupe ?

Ce n'est plus de la synergie mais bien de la destruction de valeur. Ce projet d'indépendance est avant tout une mesure défensive pour la pérennité de nos activités.

Pourquoi pensez-vous réussir là où votre prédécesseur a échoué ?

Nous savons nous adapter aux circonstances et être patients. Nous sommes dans un processus de plusieurs années et nous pouvons convaincre la BCE de la justesse de notre démarche.

En attendant, nous restons des bons élèves, nous restons affiliés au Crédit Mutuel et nous respectons les règles du groupe. Nous contestons juridiquement sa décision de nous interdire d'utiliser une marque, Arkéa, que nous avons pourtant créée. Nous attendons la décision de la justice et nous utilisons encore la marque Arkéa en dehors des structures mutualistes au services de nos filiales (sponsoring cyclisme et rugby). C'est plus compliqué pour nous de gérer deux marques mais cela nous permet également de mener des stratégies de diversification, notamment vers des clients extérieurs au réseau.

Je m'inscris dans une logique d'apaisement et de dialogue avec la Confédération et je souhaite renouer le plus rapidement possible avec ses dirigeants.

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Sur le terrain social, vous avez rencontré au sein du groupe un climat très tendu. Comment l'expliquez-vous ?

Il y a eu une agitation sociale qui s'est cristallisée en partie sur les indemnités de départ contractuelles de Ronan Le Moal (ex-DG parti avec 3,25 millions d'euros au titre de la cessation de son contrat de travail, NDLR). Nous n'avons sans doute pas immédiatement mesuré le malaise mais le comité exécutif a su réagir vite pour éviter qu'il se transforme en un mauvais climat. Sur le plan de la rémunération, nous avons  accordé une prime défiscalisée « Macron » de 1.000 euros pour une grande partie de nos collaborateurs. Et nous avons ouvert plusieurs chantiers sur la qualité de vie au travail, notamment sur la charge de travail.

Redoutez-vous une rentrée sociale mouvementée?

Cette période de crise sanitaire, de confinements et de déconfinements a suscité fatigue et lassitude chez nos salariés. Ce qui est vrai pour le Crédit Mutuel Arkéa l'est sans doute aussi pour toutes les entreprises. En sortie de crise, surtout si le contexte économique est porteur, voire très porteur, les revendications salariales pourraient être au cœur de la rentrée sociale. Cela renvoie d'ailleurs aux débats sur l'inflation, un risque qu'il ne faut plus exclure désormais.

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