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Addictions, mauvaise gestion... Les conseillers en budget, témoins des galères au quotidien

«Nous recevons énormément de mères isolées», raconte Régine Monfront, bénévole au sein du Point Conseil Budget du 11ème arrondissement de Paris.
«Nous recevons énormément de mères isolées», raconte Régine Monfront, bénévole au sein du Point Conseil Budget du 11ème arrondissement de Paris. Laëtitia Lienhard/Le Figaro.

REPORTAGE - Pour prévenir le surendettement et favoriser l'éducation budgétaire, plus de 500 points conseil budget, labellisés par l'État, ont été créés depuis 2019. Le Figaro a partagé l'après-midi d'une bénévole.

«J'ai toujours été à découvert, c'est mon mode de fonctionnement», reconnaît Sarah*, 47 ans, qui souffre d'une addiction aux jeux à gratter. Cette quarantenaire qui travaille pour un bailleur social est le premier rendez-vous de l'après-midi dans ce Point Conseil Budget du 11ème arrondissement de Paris. Depuis 2019, 500 structures de ce type existent pour accompagner les personnes en difficulté financière. Celui-ci est géré par l'association Crésus Île-de-France.

Dans ce petit bureau aux murs blancs, au fond d'une cour, Régine Monfront, bénévole depuis quatre ans, écoute, tente de rassurer et propose des solutions aux personnes venues pour être accompagnées afin de sortir de leurs problèmes de budget. «Les difficultés financières sont souvent liées à un accident de vie qui peut être un deuil, une séparation mais aussi une naissance ou un mariage qui bouscule un équilibre budgétaire déjà fragile. Il y a aussi des cas de mauvaise gestion, des personnes qui ont les moyens financiers suffisants mais qui ne s'en sortent pas», explique Régine Monfront.

Pour Sarah, c'est son addiction qui l'a plongée dans une situation financière délicate. «Je peux dépenser jusqu'à 100 euros par jour dans des jeux à gratter, c'est plus fort que moi», avoue-t-elle, tout en s'excusant tout au long de l'entretien. Mais bienveillance et écoute sont de mises. «Vous n'avez pas à vous excuser. Ce n'est pas à moi de qualifier ce qui est bien ou non», lui répète à plusieurs reprises la bénévole de l'association.

« Je peux dépenser jusqu'à 100 euros par jour dans des jeux à gratter, c'est plus fort que moi »

Sarah, 47 ans

Malgré un salaire de plus de 2000 euros, elle a contracté de nombreux crédits pour un total de plus de 23.000 euros, comprenant deux crédits à la consommation. Voyant que Sarah a réalisé le mois dernier un nouveau crédit de 2000 euros, la bénévole d'une soixantaine d'années lui propose de monter un dossier de surendettement. « Avec cela, vous ne pouvez quasiment plus prendre de nouveaux crédits. C'est un garde-fou », lui explique-t-elle.

«Il me faut une solution radicale»

Les dossiers de surendettement sont à déposer auprès de la Banque de France. Un rééchelonnement des dettes sur une durée de sept ans maximum peut notamment être proposé. Mais le dépôt d'un dossier de surendettement entraîne également une inscription au FICP (fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers). Une inscription qui vise à avertir les banques de la situation financière afin de ne pas l'aggraver en octroyant un crédit supplémentaire ou en mettant à disposition des moyens de paiement tels qu'un chéquier ou une carte bleue. « Vous aurez une carte bleue à autorisation systématique, cela vous permettra de dépenser que si vous avez l'argent sur votre compte », rassure cette membre de l'association. Régine sort sa calculatrice et estime à 700 euros par mois la capacité de remboursement de Sarah, qui pourrait ainsi éponger ses dettes en trois ans.

Une proposition qui semble la convaincre. « Ça fait plus de trois mois que j'y pense. Il me faut une solution radicale », reconnaît-elle alors qu'elle est suivie par un thérapeute pour sortir de son addiction. Un rendez-vous est pris, dans la foulée, pour la semaine prochaine afin de commencer à constituer ce dossier de surendettement, qui nécessite un certain nombre de justificatifs tels que les bulletins de salaire, les quittances de loyer mais aussi les relevés de crédits.

Les rendez-vous s'enchaînent et les situations diffèrent. C'est à présent une mère seule de deux enfants qui est assise face à Régine. « Nous recevons énormément de mères isolées. C'est un fait », remarque la bénévole. En effet, d'après le rapport d'activité de 2021 de Crésus Ile-de-France, les familles monoparentales représentent 20,4% des personnes qu'ils reçoivent soit plus du double de leur part dans la population totale (9%). Les femmes y ont la charge des enfants dans 84% des cas.

Dans ce cas précis, la décision de déposer un dossier de surendettement a d'ores et déjà été prise lors du précédent rendez-vous et c'est la seconde étape qui commence : la vérification de l'ensemble des documents. Bilan : malgré une pochette bien remplie, certains documents sont manquants. À cela s'ajoute que le salaire de Léa* va diminuer. « Il sera préférable de déposer le dossier une fois que vous aurez un premier bulletin de paie avec votre nouveau salaire pour calculer vos mensualités de remboursement sur cette base », lui explique Régine Monfront. Léa comprend mais une pointe de déception se fait ressentir, elle aurait aimé lancer cette procédure au plus vite pour avancer. En effet, après le dépôt du dossier, 4 à 6 semaines sont ensuite nécessaires pour qu'il soit traité.

«On n'a jamais vraiment appris à gérer son argent »

Arrive enfin le dernier rendez-vous de la journée pour Régine. Une femme de 28 ans se tient à présent dans le bureau. Devenue architecte après de longues études, Maylis* touche plus de 2000 euros par mois mais ne s'en sort pas. Très émue tout au long du rendez-vous, ces problèmes financiers pèsent dans son quotidien. « Ma situation financière se dégrade. Dans ma famille, on n'a jamais vraiment appris à gérer son argent », raconte-t-elle avec une pointe de reproche envers ses parents.

À cette gestion difficile de l'argent est venu s'ajouter le non-remboursement par ses colocataires de 4000 euros de charges qu'ils lui doivent. « Je n'ai pas vraiment osé les relancer ou leur demander de payer », reconnaît-elle alors que l'émotion la gagne. Cette jeune architecte a contracté deux crédits à la consommation pour un moment total de 9200 euros. «Je cherche des moyens pour apprendre à gérer mon budget, je sens que c'est le moment», affirme la jeune femme.

La bénévole du Point Conseil Budget lui propose deux alternatives, soit une formation en trois séances pour «tout savoir pour mieux gérer son budget» ou un accompagnement budgétaire individuel d'au moins six mois avec un bénévole attitré. « Vous allez apprendre à prendre de bonnes habitudes. Vous allez vous en sortir, c'est évident », la rassure-t-elle en lui décrivant une première piste de réflexion sur la gestion du budget. « On se rend souvent compte qu'on dépense beaucoup d'argent dans la «sociabilisation professionnelle», à savoir le croissant du matin, la pause-café ou le restaurant du midi. Si on y prend peu de plaisir, c'est un des leviers sur lesquels on peut jouer. Mais il n'y a que vous qui savez dans quoi vous êtes prête à dépenser moins chaque mois», analyse-t-elle. La jeune femme franchit la porte avec un léger sourire aux lèvres, après cet entretien plein d'émotions. «C'est ça mon bonheur, les voir repartir avec le sourire. Ça me donne le sentiment d'être utile», confie la bénévole.

Si Maylis est intéressée par l'une des options proposées par la bénévole, ce sera à elle de revenir vers l'association et pas l'inverse. «Nous voulons les responsabiliser. Cela doit impérativement être une démarche personnelle pour que cela fonctionne», met-elle en avant. L'association fait effectivement face à un certain nombre de personnes qui se désengagent ou disparaissent sans donner de nouvelles, notamment lors des accompagnements individuels. Une situation qui peut être difficile à vivre pour les bénévoles investis et qui entraîne un certain turn-over au sein des équipes. «On a certaines réussites et c'est tout ce qui compte», conclut Régine Monfront.

*Les prénoms ont été modifiés.

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23 commentaires
  • Titahua

    le

    La base, c’est quand même de faire un budget pour l’année à venir, puis de faire ses comptes chaque mois. Pas certaine que beaucoup de ces personnes aient commencé par ça.

  • Clo de Zur.

    le

    Je me rappelle d’un reportage récent qui montrait un jeune de 22 ans qui s’était endetté pour s’acheter une lave vaisselle un lave linge et un sèche linge et qui n’arrivait plus à rembourser. Heu, j’ai eu tout ça après 30 ans quand j’ai vraiment pu me les payer. Après on les retrouve sur les rondpoints en jaune…

  • Lohengrin

    le

    En somme les jeux à gratter la démangent!

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