Pourquoi la garantie des loyers impayés (GLI) obligatoire ne fait pas recette

Les assureurs ne sont pas favorables à une généralisation de la garantie des loyers impayés (GLI) telle que proposée par le candidat écologiste à l’élection présidentielle. Avec un bien assuré sur dix, le potentiel de ce marché existe pourtant...

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Pourquoi la garantie des loyers impayés (GLI) obligatoire ne fait pas recette
Assureurs et courtiers ont des idées pour redynamiser le marché de la GLI.

Faut-il rendre l’assurance sur les loyers impayés obligatoire pour fluidifier le marché de l’immobilier ? Dans une tribune publiée dans le journal Le Monde en décembre dernier, Yannick Jadot, candidat écologiste à l’élection présidentielle, plaidait en faveur de la mise en place d’une assurance universelle. Une proposition – une de plus – plutôt mal accueillie par le monde de l’assurance. « L’obligation crée beaucoup d’insatisfaction. Nous préférerions une logique d’incitation », déclare Alain Ledemay, directeur général de Galian, un assureur spécialisé dans les solutions pour les professionnels de l’immobilier.

Conséquences économiques

Les instances de l’assurance ne sont pas favorables à l’obligation d’assurance sur cette activité, car la notion d’intérêt général n’existe pas. « Le cas du propriétaire qui ne perçoit pas son loyer ne relève pas d’une mission d’intérêt commun, à la différence de l’assurance automobile, en raison par exemple des conséquences d’un accident impliquant un piéton », compare Éric Durand, directeur des activités sectorielles et de la construction chez Verspieren. « Une généralisation de la GLI poserait des problèmes économiques gravissimes », renchérit Bruno Tuma, directeur du cabinet de courtage Sacapp-SAA, partenaire de Matmut sur la GLI. « Lorsqu’elle était ministre du Logement, Christine Boutin avait lancé la GRL [Garantie des risques locatifs, dispositif de couverture public-privé pour les locataires dont le loyer pouvait représenter jusqu’à 50 % des ressources, ndlr] en s’appuyant sur Action Logement et les assureurs. En 2016, le Premier ministre, Manuel Valls, a mis fin à la GRL en raison de ratios sinistres sur primes désastreux. La GRL a été un échec », considère Bruno Tuma. Selon lui, en extrapolant les paramètres de la GRL à ceux d’une GLI généralisée, donc en hypothèse de risque « systémique », le ratio sinistres/primes ressortirait a mini­ma à 400 %, avec 5 Md€ de sinistres à payer pour 1,25 Md€ de primes nettes. Pour corriger cette dérive, il faudrait multiplier les cotisations par quatre, ce qui paraît, bien entendu, difficilement acceptable pour une prime qui atteint aujourd’hui en moyenne 200 à 300 € par an.

Les chiffres

  • 7 millions : le nombre de résidences principales gérées par des bailleurs privés (dont 2/3 par des particuliers et 1/3 par des administrateurs de biens)
  • 1 à 2 % : le taux de loyers impayés
  • 12 % : la part des biens couverts par une GLI
  • 200 à 300 € : la prime annuelle moyenne d’une GLI
  • 57 % : la part de locataires ayant été confrontés à des difficultés de paiement de loyers depuis le début de la crise sanitaire
    Sources : INSEE, rapport Nogal, étude Harris interactive pour Cautioneo, estimations marché

 

éviter les impayés

La GLI est pourtant « fondamentale. Si une personne investit dans l’immobilier pour avoir un complément de retraite, le non-paiement du loyer peut avoir des conséquences très fâcheuses », enchaîne Dominique Filsjean, directeur groupe au sein de la direction générale adjointe assurance IARD du Groupe Matmut. Comment, alors, expliquer sa faible diffusion ? Alain Ledemay l’attribue à « une question de culture ». « C’est un peu le résultat de la défaillance du secteur assurantiel au sens large. Personne ne fait vraiment bien son travail, les administrateurs de biens et les pouvoirs publics non plus », dit-il. De fait, les bailleurs connaissent mal le produit, voire ignorent qu’il existe. « Il y a vraiment un effort à faire, quelque chose d’intelligent à concocter du côté de France Assureurs, des porteurs de risque et des distributeurs », poursuit-il, en regrettant par ailleurs que « beaucoup d’acteurs proposent de la GLI sans rien y connaître, alors que c’est un produit qui demande une bonne connaissance de l’immobilier, de la psychologie des bailleurs et du marché locatif. »

Comment, dans ce contexte, les assureurs peuvent-ils dynamiser le marché ? D’un acteur à l’autre, les garanties sont déjà relativement homogènes, avec des plafonds de garantie de l’ordre de 80 000 à 100 000 €. La différence se joue plutôt sur la qualité du service. « C’est la gestion des assureurs qui fait la différence, sachant que cette qualité est cyclique : pendant cinq ans, il y en a un qui est bon, puis sur le déclin, donc c’est à nous d’orienter notre client », estime Christophe Mortès, gérant de NeoDomos, un cabinet de courtage d’Aix-en-Provence spécialisé dans les assurances immobilières. Gérard Deray, cofondateur du néo-assureur en ligne Mila, considère que « les produits, les parcours de souscription et les procédures de déclaration de sinistres et d’indemnisation existants sont beaucoup trop complexes et incertains ». À ses yeux, il est temps de concevoir un mode de souscription « quasi immédiat », un processus de déclaration de sinistre en ligne « en trois clics » et une indemnisation des administrateurs de biens et des bailleurs « ultrarapide ». C’est pour lui la condition indispensable pour sécuriser les bailleurs et conquérir le marché.

Alain Ledemay plaide aussi pour une limitation du recours à la caution personne physique – en la réservant aux étudiants – « car c’est la moins bonne des solutions de garantie, compte tenu des aléas susceptibles de survenir, et la plus discriminatoire pour les locataires ». Autre point à revoir, les conditions d’éligibilité. Éric Durand de Verspieren observe que les critères de solvabilité des locataires n’ont pas changé depuis trente ans. Avec la crise du logement, « le critère d’un tiers du salaire consacré au logement ne correspond plus au marché et c’est le reste à vivre qui devrait être pris en compte », pense-t-il.

Accession au logement et protection des bailleurs : dix ans de tâtonnement

  • 2010 : portée par Benoist Apparu, alors ministre du Logement, et mise en place en 2010 par Action Logement (ex-1 % logement), la garantie des risques locatifs (GRI) a été arrêtée à fin 2015 faute d’avoir rencontré le succès escompté auprès des bailleurs et des assureurs.
  • 2014 : créée par la loi Alur de 2014 soutenue par Cécile Duflot, alors ministre du Logement, la garantie universelle des loyers (GUL), dispositif 100 % public, n’a jamais vu le jour, en raison d’un coût jugé excessif.
  • 2016 : Visale, dispositif public de caution solidaire, est mis en place en janvier 2016 par Action Logement. il couvre gratuitement les propriétaires bailleurs qui choisissent comme locataire un jeune de moins de 30 ans ou un salarié au revenu modeste.
  • 2020 : la proposition de loi Nogal, portée par le député LREM Mickaël Nogal, prévoyait une sécurisation contre les impayés via l’inclusion d’une garantie de paiement de loyers dans les mandats de gestion locative des administrateurs de biens. déposée en février 2020 à l’Assemblée nationale, elle a été écartée de l’agenda parlementaire.
  • 2021 : une proposition de loi relative à l’instauration d’une garantie universelle des loyers, au même titre que l’assurance automobile ou habitation, a été déposée le 7 décembre par les députés Émilie Cariou et Aurélien Taché (Les nouveaux démocrates, rattachés à EELV). Elle n’a pas été inscrite à l’agenda parlementaire.

 

Faciliter l’accès au logement

Face à cette crise, Gérard Deray voit en la GLI un pivot de l’accès au logement, « notre proposition est d’élargir considérablement l’éligibilité des locataires ». Selon lui, la vie en France a changé, le CDI n’est plus la norme, certains préférant par exemple l’intérim pour des raisons personnelles d’équilibre de vie. Pas question donc de les laisser de côté, tout comme les demandeurs d’emploi « sous certaines conditions ». Un point de vue qui ne fait pas l’unanimité : « Si les conditions sont trop souples, on ne rend pas service aux locataires », nuance Christophe Mortès. Mais les problèmes ne tiennent pas qu’aux conditions d’éligibilité : « Le propriétaire bailleur est souvent dans l’urgence quand il rencontre le candidat locataire et peut négliger les documents requis. Et quand on vérifie les pièces, il arrive que l’on ait des suspicions de fraude », observe Bruno Tuma.

Reste à savoir qui donnera l’impulsion en matière de transformation du marché. Les assurtech se bousculent sur le segment de la GLI. Mila, Seyna, Cautioneo, Unkle, Garantme (en partenariat avec Axa) ou encore Vertuloo (une plateforme digitale de sélection de locataires créée par le courtier Bessé) se sont récemment positionnées sur le marché de la GLI. Ont-elles les moyens de leurs ambitions ? Pour Albin Tranchard, senior manager actuarial & financial services chez Optimind, les start-up « se différencient surtout sur le parcours de souscription digitalisé, qui est plus simple et plus rapide ». Christophe Mortès, de NeoDomos, voit leur émergence d’un bon œil : « Elles vont donner une ouverture, un petit coup de fouet. Il le faut, car les assureurs sont ancrés dans leurs habitudes. Nous, courtiers, nous essayons de les faire évoluer, mais cela ne va pas assez vite ! »

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