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Portée de la nullité édictée par l’article L. 113-8 du code des assurances : un revirement attendu

Interprétée à la lumière du droit de l’Union européenne, la nullité d’un contrat d’assurance de responsabilité civile automobile édictée par l’article L. 113-8 du code des assurances n’est pas opposable aux victimes d’un accident de la circulation ou à leurs ayants droit, lorsqu’elle résulte de fausses déclarations initiales du preneur d’assurance en ce qui concerne l’identité du propriétaire et du conducteur habituel du véhicule concerné ou de la circonstance que la personne pour laquelle ou au nom de laquelle ce contrat d’assurance est conclu n’avait pas d’intérêt économique à la conclusion dudit contrat.

par Rodolphe Bigotle 20 septembre 2019

En déclarant désormais inopposable aux victimes d’un accident de la circulation ou à leurs ayants droit la nullité du contrat d’assurance prévue à l’article L. 113-8 du code des assurances, en présence d’une fausse déclaration intentionnelle du risque par l’assuré, la Cour de cassation renverse une solution bien acquise en droit français (Civ. 2e, 29 août 2019, F-P+B+I, n° 18-14.768). De longue date attendue, côté victimes, la solution a été annoncée en 2017 par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), donc sans surprise, côté assureurs.

Il s’agit d’une avancée majeure pour le droit des victimes, qui inspire un respectueux hommage à la mémoire de l’avocat général Yves Bot, lequel saluait régulièrement les progrès initiés par la Haute juridiction européenne qu’il a servie avec tant de vigueur et de raffinement.

La doctrine avait relevé, à l’aube de la décision luxembourgeoise, que « la Cour de justice s’est livrée à une interprétation finaliste des directives, afin de ne pas compromettre leur effet utile. L’idée cardinale était que le droit de l’Union devait avoir pour finalité de protéger la catégorie particulièrement vulnérable des victimes, en comblant les lacunes dans la couverture d’assurance obligatoire » (G. Parléani, La fin de l’opposabilité de certaines nullités aux victimes en assurance automobile [notamment pour fausse déclaration intentionnelle], RGDA oct. 2017, n° 114y0, p. 536, n° 6).

À l’origine de l’affaire soumise au droit français qui parfait cette évolution, le conducteur d’une motocyclette a été victime d’un accident de la circulation le 5 juillet 2008. Un véhicule automobile était impliqué dans ce choc. L’automobile appartenait au conducteur habituel mais ce dernier l’avait fait assurer par un ami depuis le 21 juin 2008, avec comme conducteur principal déclaré ce même compère. La victime est décédée des suites de ses blessures le 10 août 2008. Un tribunal correctionnel a déclaré le conducteur automobile coupable d’homicide involontaire et a statué sur les constitutions de partie civile des parents de la victime, ainsi que d’autres membres de sa famille. Les ayants droit ont ensuite assigné le conducteur et son assureur en indemnisation de leurs préjudices, en présence de la caisse primaire d’assurance maladie. L’assureur a assigné en intervention forcée le souscripteur du contrat d’assurance du véhicule conduit par l’auteur de l’accident et le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (le FGAO). Par arrêt déclaré opposable au FGAO, la cour d’appel de Grenoble a annulé le contrat d’assurance souscrit et débouté les ayants droit de la victime des demandes qu’ils avaient formées à l’encontre de l’assureur (Grenoble, 2e ch. civ., 30 janv. 2018).

Le FGAO a formé un pourvoi contre cette décision. Le preneur du contrat d’assurance annulé a formé un pourvoi incident contre le même arrêt. La deuxième chambre civile de la Cour de cassation a rendu un arrêt important le 29 août 2019 (n° 18-14.768).

S’agissant du pourvoi incident du souscripteur, en premier lieu, celui-ci a reproché à l’arrêt d’annuler le contrat qu’il a conclu auprès de la société d’assurances. Néanmoins, la Cour de cassation a jugé que la cour d’appel a légalement justifié sa décision en ayant pris en considération l’existence de fausses déclarations intentionnelles faites par le souscripteur à sa seule initiative lors de la conclusion du contrat. À cet effet, la cour d’appel avait jugé que le tribunal avait à juste titre annulé le contrat d’assurance litigieux en retenant que la déclaration du souscripteur était inexacte en ce qu’il savait parfaitement qu’il n’était ni le propriétaire, ni le conducteur habituel du véhicule qu’il assurait « pour rendre service » à un ami.

En ce qui concerne, en second lieu, le premier moyen du pourvoi principal, au visa de l’article L. 113-8 du code des assurances, ensemble l’article R. 211-13 du même code, interprétés à la lumière de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 72/166/CEE du Conseil du 24 avril 1972 et de l’article 2, paragraphe 1, de la deuxième directive 84/5/CEE du Conseil du 30 décembre 1983 et des articles 3 et 13 de la directive n° 2009/103 du Conseil du 16 septembre 2009, la Cour de cassation a retenu, un attendu de principe : « Attendu que la Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit (arrêt du 20 juill. 2017, aff. C-287/16) que l’article 3, paragraphe 1, de la directive 72/166/CEE du Conseil, du 24 avril 1972, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules automoteurs, et au contrôle de l’obligation d’assurer cette responsabilité, et l’article 2, paragraphe 1, de la deuxième directive 84/5/CEE du Conseil, du 30 décembre 1983, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale qui aurait pour effet que soit opposable aux tiers victimes, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, la nullité d’un contrat d’assurance de responsabilité civile automobile résultant de fausses déclarations initiales du preneur d’assurance en ce qui concerne l’identité du propriétaire et du conducteur habituel du véhicule concerné ou de la circonstance que la personne pour laquelle ou au nom de laquelle ce contrat d’assurance est conclu n’avait pas d’intérêt économique à la conclusion dudit contrat ; Qu’il s’en déduit qu’interprétée à la lumière des dispositions des directives susvisées, la nullité édictée par l’article L. 113-8 du code des assurances n’est pas opposable aux victimes d’un accident de la circulation ou à leurs ayants droit ».

Par conséquent, pour la deuxième chambre civile, la cour d’appel a violé les textes susvisés en retenant que, contrairement à ce que soutiennent les ayants droit de la victime, l’exception de la nullité soulevée par l’assureur leur est opposable, pour rejeter la demande du FGAO tendant à voir dire que l’assureur sera tenue de garantir les conséquences dommageables de l’accident en cause après avoir annulé, en application de l’article L. 113-8 du code des assurances, le contrat d’assurance automobile souscrit par le preneur le 21 juin 2008.

Dès lors, sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres moyens du pourvoi principal et du pourvoi incident, la deuxième chambre civile a censuré, mais seulement en ce qu’il rejette la demande du FGAO tendant à voir dire que l’assureur sera tenue de garantir les conséquences dommageables de l’accident, l’arrêt rendu le 30 janvier 2018, entre les parties, par la cour d’appel de Grenoble.
La Cour de cassation s’aligne ainsi sur la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne ayant décidé en 2017, en matière d’assurance automobile, que la nullité était inopposable aux tiers lésés (CJUE, 6e ch., 20 juill. 2017, Fidelidade Companhia de Seguros, aff. C-287/16).

Rappelons que, d’une part, l’article L. 113-8 du code des assurances dispose qu’« Indépendamment des causes ordinaires de nullité, et sous réserve des dispositions de l’article L. 132-26, le contrat d’assurance est nul en cas de réticence ou de fausse déclaration intentionnelle de la part de l’assuré, quand cette réticence ou cette fausse déclaration change l’objet du risque ou en diminue l’opinion pour l’assureur, alors même que le risque omis ou dénaturé par l’assuré a été sans influence sur le sinistre.

Les primes payées demeurent alors acquises à l’assureur, qui a droit au paiement de toutes les primes échues à titre de dommages et intérêts.

Les dispositions du second alinéa du présent article ne sont pas applicables aux assurances sur la vie ».

D’autre part, l’article R. 211-13 du même code retient que « Ne sont pas opposables aux victimes ou à leurs ayants droit :
1° La franchise prévue à l’article L. 121-1 ;
2° Les déchéances, à l’exception de la suspension régulière de la garantie pour non-paiement de prime ;
3° La réduction de l’indemnité applicable conformément à l’article L. 113-9 ;
4° Les exclusions de garanties prévues aux articles R. 211-10 et R. 211-11.
Dans les cas susmentionnés, l’assureur procède au paiement de l’indemnité pour le compte du responsable.
Il peut exercer contre ce dernier une action en remboursement pour toutes les sommes qu’il a ainsi payées ou mises en réserve à sa place ».

Compte tenu de la présente décision, il serait préférable que ces derniers textes soient rapidement remaniés.

Les cas dans lesquels la nullité pouvait jouer avaient certes été réduits par la Cour de cassation. Tantôt l’assureur s’est vu imposer d’établir la preuve de la connaissance par l’assureur de l’inexactitude de la déclaration (Civ. 2e, 20 oct. 2016, n° 15-25.324, RGDA déc. 2016, p. 606, note A. Pélissier) ou encore celle du caractère intentionnel des fausses déclarations (Civ. 2e, 30 juin 2016, n° 15-18.885, RGDA 2016, 403, note L. Mayaux). Tantôt la Cour de cassation a érigé l’assuré comme bénéficiaire réel et permanent de l’assurance et n’a ainsi pas permis à l’assureur ayant déjà versé l’indemnité d’obtenir la restitution de l’indu (Civ. 1re, 12 mai 1987 ; 10 juin 1992, RGAT 1992, p. 519, note J. Kullmann) ni à celui ayant indemnisé en connaissance de la fausse déclaration, de recouvrer l’indemnité, qualifiant son acte de renonciation (Civ. 2e, 12 déc. 2013, n° 12-27.889 ; 24 mai 2012, n° 11-18.136). Elle a encore prescrit que la victime soit nécessairement partie au jugement statuant sur la nullité (Civ. 3e, 4 nov. 1992). Dernièrement, elle a resserré l’exigence de précision du questionnaire (D. Noguéro, Vers le formulaire de déclaration du risque avec des questions précises ?, Gaz. Pal. 2018 (6 mars), n° 9, doctr., 315f5, p. 50-57) en commandant, pour prononcer la nullité d’un contrat d’assurance sur le fondement de la fausse déclaration intentionnelle, que les juges du fond relèvent que l’inexactitude de la déclaration procède d’une réponse personnellement donnée par l’assuré à une question précise posée par l’assureur lors de la conclusion du contrat de nature à lui faire apprécier les risques pris en charge (R. Bigot, Déclaration du risque : conditions de la nullité pour fausse déclaration intentionnelle, sous Civ. 2e, 4 oct. 2018, n° 17-25.967, Dalloz actualité, 7 nov. 2018 ; comp. Civ. 2e, 30 juin 2016, n° 15-18.885, RGDA 2016. 403, note L. Mayaux ; 17 nov. 2016, n° 15-24.819, RGDA janv. 2017, n° 114c9, p. 37, note A. Pélissier).

Toutefois, la Cour de cassation résistait jusque-là à la réception de l’inopposabilité. À ce titre, elle retenait qu’était opposable à la victime la nullité édictée par l’article L. 113-8 du code des assurances. Dès lors, privée de toute indemnisation par l’assureur (Civ. 1re, 23 juin 1971, RGAT 1972. 237 ; 1re déc. 1993, RCA 1994, n° 94), la victime n’avait plus qu’à se tourner vers le fonds de garantie. La haute juridiction avait fréquemment rappelé que l’assureur, qui excipe à son bénéfice des dispositions de l’article L. 113-8, soulève une exception de nullité, laquelle est opposable au tiers lésé (Civ. 1re, 11 janv. 1989, n° 07-10.003, RGAT 1989. 349, obs. F. Chapuisat) et à tout bénéficiaire de la garantie (Crim. 31 mai 1988, n° 87-84.010, RGAT 1988. 804, note F. Chapuisat ; 12 juin 2012, n° 11-87.395, inédit, RCA 2012. Comm. 251, obs. H. Groutel).

À présent, certes sous la pression du juge communautaire, les magistrats du quai de l’horloge procèdent ainsi à un revirement interne majeur, sortant de leur politique des petits pas.

La portée de l’arrêt Fidelidade rendu par la Cour de justicele 20 juillet 2017 renforcée par celle de la décision française du 29 août 2019 (n° 18-14.768) « va au-delà des conséquences d’une fausse déclaration intentionnelle de l’assuré, même si cette hypothèse est particulièrement sensible » (G. Parléani, préc., n° 10). En toute harmonie, ces juridictions livrent une solution identique en présence d’un assuré n’ayant eu aucun intérêt économique à la conclusion du contrat d’assurance. Il s’agit donc d’un grand pas.

La doctrine avait indiqué qu’« en droit français, et en dehors de l’assurance maritime, la question de savoir si l’intérêt d’assurance est une condition de validité du contrat demeure incertaine (v. J. Bigot et alii, Traité de droit des assurances, t. 3, Le contrat d’assurances, 2e éd., LGDJ, nos 407 s. ; v. cependant une ancienne jurisprudence en matière d’assurance maritime qui, faute d’intérêt, assimilait l’assurance au jeu ou au pari, Req., 3 janv. 1876, S. 1876. I. 105 ou 7 janv. 1908, DP 1909. I. 265 ; et pour une conception large de l’intérêt, reposant sur l’intérêt à agir, Civ. 1re, 6 oct. 1993, n° 91-13.291, D. 1994. 142 , obs. H. Groutel ; RTD civ. 1994. 592, obs. J. Mestre ). En tout cas, l’arrêt Fidelidade est de nature à clore les controverses, mais uniquement en assurance automobile, en raison de l’interprétation finaliste des directives assurance par la Cour de justice » (ibid.), ce que confirme la Cour de cassation.

En définitive, dans ce contrat d’extrême bonne foi qu’incarne la relation d’assurance, où chacun des partenaires se trouve contraint de faire confiance à l’autre, la jurisprudence désormais révolue était, il est vrai, empreinte d’une « certaine logique sanctionnatrice de la mauvaise foi » (G. Parléani, préc., n° 18). Néanmoins, cette logique n’est pas abandonnée dans la nouvelle formule. Elle est à présent à l’initiative des assureurs, qui devront mettre en œuvre un recours à l’encontre du responsable après indemnisation de la victime ou de ses ayants droit. Cette charge du recours ne paraît pas excessive compte tenu de l’ampleur du marché de l’assurance automobile obligatoire. Près de 40 millions d’engins circulent en France, ce qui constitue un marché de l’assurance de responsabilité automobile obligatoire de 7,4 milliards d’euros (Fédération française de l’assurance, Les assurances de biens et de responsabilité. Données clé 2017, juill. 2018, ffa-assurance.fr) qui culmine à 21,3 milliards d’euros en y incluant les assurances de biens en automobile (ibid.).