Assurance emprunteur et habitation : lier le crédit et la MRH, une pratique légale... mais pas tout à fait loyale

Les acteurs historiques de la MRH dénoncent une concurrence faussée des bancassureurs. Mais celle-ci est difficile à contrer, car les consommateurs peuvent y trouver leur compte…

Partager
Assurance emprunteur et habitation : lier le crédit et la MRH, une pratique légale... mais pas tout à fait loyale

Les spécialistes historiques de l’assurance multirisque habitation (MRH), mutuelles sans intermédiaires et sociétés d’assurance, regardent de travers leurs confrères bancassureurs : au moment d’accorder un crédit immobilier à leurs clients, ces derniers conditionnent l’octroi d’un taux attractif à la souscription d’une MRH.

Cette pratique, pudiquement qualifiée de « contrepartie », n’apparaîtrait jamais noir sur blanc dans les contrats. Et elle se serait renforcée depuis cinq ans sous l’effet des taux bas, selon un courtier en crédit : « Nous avons senti une augmentation de la volonté des banques de proposer des produits additionnels car, avec les taux bas, le crédit immobilier est devenu pour elles un moyen de capter de nouveaux clients. » La remontée des taux ne devrait pas inverser la tendance. Ce même courtier estime que « les banques vont être encore plus en position de force pour imposer leurs exigences ».

Du côté des assureurs, on évoque, sous couvert d’anonymat, « un immense problème concurrentiel qui existe depuis que les banques sont entrées sur le marché de l’assurance, dans les années 1990. Elles disposent, avec le crédit, d’une arme très difficile pour nous à contrer ». « Les banquiers détiennent aujourd’hui un quart du marché de l’assurance habitation et gagnent régulièrement des parts de marché. Mais je ne pense pas que leurs performances commerciales soient liées à une qualité supérieure des produits, ou à des tarifs plus compétitifs que les nôtres », tacle notre interlocuteur.

Un futur sujet de place ?

Si le sujet des ventes conjointes de MRH avec un crédit immobilier n’a pas donné lieu à des contentieux, il n’a jamais, non plus, été mis sur la table dans les instances de la profession. « C’est difficile d’aborder ce sujet chez France Assureurs, où nous nous retrouvons tous autour de la même table. On ne peut pas demander à certains membres de se priver d’un potentiel commercial », admet un assureur. Les assureurs historiques butent sur la difficulté de prouver ce phénomène de ventes conjointes. « Certains, comme nous, tentent déjà de le faire, avec des méthodes certes pertinentes – en interrogeant leurs réseaux pour savoir ce que fait tel ou tel acteur –, mais qui peuvent être considérées comme partisanes. » Mais sachant que les assureurs estiment qu’une écrasante proportion des crédits est accompagnée d’une MRH, certains souhaitent porter un jour le sujet sur la place publique.

 

Pratique agressive

À la Macif, Yann Arnaud, directeur réponses besoins sociétaires et innovation, tempère : « On ne peut pas reprocher aux bancassureurs d’essayer de vendre de la MRH lors de l’octroi d’un crédit immobilier. Mais ils profitent d’une position particulière, et il faudrait des règles qui rééquilibrent le jeu, car on n’est pas dans une concurrence libre et non faussée. » Les bancassureurs craindraient-ils de tomber sous le coup de la loi ? Impossible de se prononcer. Plusieurs d’entre eux, sollicités par L’Argus, n’ont pas donné suite.

Laurent Denis, avocat au sein du cabinet Endroit Avocat, rappelle que la vente liée est autorisée par la loi, sauf si elle constitue une pratique commerciale déloyale ou agressive. Or, affirme-t-il, « les banques procèdent selon des méthodes qui entrent dans les dispositions caractérisant une pratique commerciale agressive. Notamment, la proposition faite sous forme d’exigence vicie le consentement du consommateur. Ce dernier n’a pas le choix : il doit souscrire le produit proposé par la banque, ce qui est une altération évidente de sa liberté ». Même si les pratiques des banques sont contestables, il note que « dans le domaine de la distribution bancaire, les ventes liées sont tolérées de longue date, en particulier en matière de crédit ». Il est notamment admis que le prêteur puisse exiger, comme condition préalable d’octroi du prêt, des actions de la part de l’emprunteur. « Ceci est légitime dès lors qu’il s’agit de sécuriser le prêt (sûretés, assurance de prêt, etc.). C’est en revanche fortement contestable pour des services qui n’ont aucun rapport avec la sécurité du prêt : parts sociales, assurance MRH », détaille cet avocat.

Pas de sanctions

Laurent Denis pointe un autre manquement des banques : le non-respect de l’obligation d’intégrer au taux annuel effectif global (TAEG) du prêt tous les services qui conditionnent son octroi. Or c’est un point délicat alors que les taux remontent, le TAEG risquant d’atteindre ou de dépasser le taux d’usure. Cela étant, en l’absence de contentieux de la part des emprunteurs, qui « ne vont pas devant les tribunaux pour des sujets aussi complexes », l’avocat remarque que les bancassureurs sont « à l’aise » pour déployer les pratiques dénoncées par leurs concurrents, sachant qu’ils ne seront pas contrôlés par les autorités de supervision telles que l’ACPR ou la DGCCRF.

Quant aux associations de consommateurs, elles semblent démunies. Pour l’UFC-Que Choisir, qui dit être fréquemment sollicitée par des assurés, l’attitude des bancassureurs est doublement problématique. D’une part, elle impose aux consommateurs de souscrire un produit d’assurance qu’ils ne souhaitent pas. D’autre part, elle fausse la concurrence dans la mesure où le coût de l’assurance habitation ne figure pas dans le TAEG du crédit ainsi consenti. « Les consommateurs ne sont alors pas en mesure de comparer le tarif de cette proposition commerciale (crédit + assurance habitation) avec celle d’une autre proposition (crédit seul), remarque l’association de consommateurs. Malheureusement, ce type de pratiques, que l’on rencontre lors de l’octroi, mais également en cas de renégociation de crédit, est rarement formalisé à l’écrit, de sorte que les consommateurs et les associations qui les représentent ne peuvent intenter des plaintes pour que cessent ces pratiques », conclut L’UFC-Que Choisir.

Un gain pour l’assuré

Enfin, l’absence de contentieux s’explique aussi par le fait que certains consommateurs y trouvent leur compte. À la différence de l’assurance emprunteur, pour laquelle le législateur a agi, il n’y a pas ici de préjudice réel. « La souscription d’une assurance habitation auprès de la banque permet des économies supérieures au coût de l’assurance, par exemple pour les frais de dossier », explique un courtier en crédit. Exemple de BNP Paribas, où les frais de dossier atteignent 2 000 € pour 300 000 € empruntés. En souscrivant une MRH, ils tombent à 1 000 €, et à 0 € en prenant la télésurveillance (abonnement mensuel). D’autres banques proposent même une baisse du taux de crédit de l’ordre de 10 points de base (– 0,10 %) si l’on souscrit une MRH, d’autres 5 points de base. « Nous considérons que c’est quand même avantageux pour le client, estime Sandrine Allonier, directrice des études chez le courtier en crédit Vousfinancer (groupe Vilavi). Et les produits MRH des banques apportent une bonne couverture avec, par exemple, une prise en charge des mensualités du crédit jusqu’à douze mois en cas de sinistre. »

Enfin, le client n’est pas pieds et poings liés avec sa banque. Il lui reste une arme imparable : la résiliation infra-annuelle, droit exerçable une fois passé le premier anniversaire du contrat.

Base des organismes d'assurance

Abonnés

Retrouvez les informations complètes, les risques couverts et les dirigeants de plus de 850 organismes d’assurance

Je consulte la base

Sujets associés

NEWSLETTER La matinale

Nos journalistes sélectionnent pour vous les articles essentiels de votre secteur.

Votre demande d’inscription a bien été prise en compte.

Votre email est traité par notre titre de presse qui selon le titre appartient, à une des sociétés suivantes...

Votre email est traité par notre titre de presse qui selon le titre appartient, à une des sociétés suivantes du : Groupe Moniteur Nanterre B 403 080 823, IPD Nanterre 490 727 633, Groupe Industrie Service Info (GISI) Nanterre 442 233 417. Cette société ou toutes sociétés du Groupe Infopro Digital pourront l'utiliser afin de vous proposer pour leur compte ou celui de leurs clients, des produits et/ou services utiles à vos activités professionnelles. Pour exercer vos droits, vous y opposer ou pour en savoir plus : Charte des données personnelles.

LES ÉVÉNEMENTS L’ARGUS DE L’ASSURANCE

Tous les événements

Les formations L’ARGUS DE L’ASSURANCE

Toutes les formations

LE CARNET DES DECIDEURS

Serge da Mariana HORIZ 2024 Ircem

Serge da Mariana HORIZ 2024 Ircem

Ircem

Directeur général

Florian Camilleri, DG Mutami et DGA d'Unalis 2024

Florian Camilleri, DG Mutami et DGA d'Unalis 2024

UNALIS Mutuelles

Directeur général de Mutami et DGA d'Unalis

LES SERVICES DE L’ARGUS DE L’ASSURANCE

Trouvez les entreprises qui recrutent des talents

CNAM

Professeur titulaire de la chaire en Assurance H/F

CNAM - 29/03/2024 - CDI - PARIS

+ 550 offres d’emploi

Tout voir
Proposé par

Accédez à tous les appels d’offres et détectez vos opportunités d’affaires

83 - Toulon

Assurance dommages ouvrage pour l'opération de construction de 62 logements sociaux collectifs

DATE DE REPONSE 04/06/2024

+ de 10.000 avis par jour

Tout voir
Proposé par

ARTICLES LES PLUS LUS

SOUTENEZ UN JOURNALISME D'EXPERTISE, ABONNEZ-VOUS DÈS MAINTENANT À L'Argus de l'assurance

Rejoignez la communauté des décideurs de l’assurance et profitez d'informations et données clés sur votre secteur.

Découvrez nos offres