Assurance dommages : vers l'expertise 2.0
Si la crise a boosté l’utilisation d’outils technologiques par les experts, elle n’a pas révolutionné les usages. La transformation digitale avait déjà débuté pour répondre aux besoins et attentes du XXIe siècle.
? Hélène Lerivrain
\ 16h26
? Hélène Lerivrain
Quel impact aura eu la pandémie de Covid sur l’expertise en assurance ? Première certitude : l’utilisation de la visio a permis à cette profession d’assurer une continuité de service « qui a plutôt bien fonctionné. Cela a également démocratisé cet outil », reconnaît Olivier Willems, directeur général délégué en charge des activités d’expertises chez Stelliant. Mais si l’expertise de force majeure a permis un traitement à distance pendant le premier confinement pour éviter d’avoir à reporter les expertises sur site, « cela n’a pas révolutionné les équilibres », insiste Emmanuel Villette, président de la Fédération des sociétés d’expertise (FSE). Même constat du côté de l’expertise auto. « Avant la crise, nous étions à 10 % de visio-expertise. Nous sommes montés à 50, voire 60 % pendant la crise, puis nous sommes redescendus à 25 % », témoigne François Mondello, président de la Fédération française de l’expertise automobile (FFEA).
La crise n’aurait pas non plus fait apparaître de nouvelles technologies. « Elles se déploient au rythme où la technologie s’accélère », analyse Emmanuel Villette. « L’accélération va dépendre de la maturité des outils de détection de fraude », ajoute Jean-Pierre Guillaume, directeur digital d’Eurexo. La transformation digitale était ainsi bel et bien engagée avant la crise pour répondre à diverses problématiques. À titre d’exemple, Sedgwick avait lancé, dès 2018, une réflexion autour de l’expertise à distance en cas de sécheresse. « Sur ce type de sinistre, 50 à 60 % des dossiers sont classés sans suite. Nous avons donc accéléré la visio-expertise, mais pratiquée par des spécialistes », insiste Nicolas Chabauty, directeur régional Sud-Ouest de Sedgwick.
La deuxième étape, en 2020, aura été marquée par le développement, avec un partenaire, d’une solution de preuve numérique qui permet d’établir les preuves légales d’un dommage par l’assuré lui-même, et ainsi faciliter la prise de décisions urgentes.
La blockchain certifie les photographies d’expertise
Alors que les photographies constituent des preuves à l’instant T de l’état d’un bâtiment, elles doivent être certifiées pour ne pas être contestées par les différentes parties prenantes d’un éventuel litige. Cette certification peut être réalisée par un huissier, une procédure souvent chronophage et coûteuse. Grâce à la blockchain, il est possible d’authentifier en temps réel et sans l’intervention d’un tiers les photographies incluses dans le rapport d’expertise. La blockchain certifie la date, l’heure et le lieu du cliché, tout en garantissant que ce dernier ne sera jamais modifié ou supprimé. Une application web a été développée par Monuma chez Saretec. Elle est utilisée par les experts du groupe in situ ou en visio depuis le mois de juin pour préserver l’exercice des recours par l’assureur.
Outils d’experts et parcours digitaux
Les nouvelles technologies sont, en l’occurrence, utilisées pour des expertises à fort enjeu : le drone, en particulier, reste réservé aux sinistres de grande ampleur. Un mini-drone peut néanmoins être déployé, voire même un drone rampant capable de se déplacer sous les décombres d’un site incendié. Parmi les outils utilisés figure également le scan 3D, qui reconstitue numériquement des lieux sinistrés pour une prise de décision rapide. à titre d’exemple, il est possible de modéliser le passage de la fumée lors d’un incendie.
Sur la question de l’intelligence artificielle (IA), ce n’est en revanche que le début de l’histoire. Si elle est utilisée dans l’expertise automobile, elle est encore peu déployée en habitation pour des raisons évidentes d’apprentissage plus lent de la technologie. « Pour autant, il faut y aller », assure Bruno Lacoste-Badie, directeur expertise et solutions pour l’indemnisation chez Covéa. C’est justement ce que prévoit de faire la société Tractable, qui envisage un lancement en 2022 sur l’habitation en France, précisément sur le dégât des eaux, après un test mené au Japon. Aujourd’hui, en auto, « l’IA permet, à partir de photos, d’établir un premier chiffrage et de faire de l’aiguillage. Elle peut aussi aider à la valorisation des véhicules, même si c’est plus marginal », témoigne François Mondello.
Au-delà de ces outils directement utilisés par les experts, la profession développe des parcours de plus en plus digitaux en amont de l’expertise avec notamment la prise de rendez-vous en ligne pour les assurés via l’extranet de l’expert. Des comptoirs virtuels sont aussi mis en place, sorte de guichets uniques qui servent à recenser les déclarations.
Le scan 3D miniaturisé facilite les prises de vue
Si le scan 3D, qui existe depuis dix ans, permet de prendre des photos pour fixer l’image de la pièce d’un bâtiment sinistré, l’outil était jusqu’à présent relativement imposant et lourd. Aujourd’hui, la modélisation 3D via la technologie LiDAR (télédétection par laser) peut se faire en scannant la pièce avec un smartphone. Le bien immobilier est modélisé en temps réel pendant l’intervention de l’expert et les surfaces intégrées au chiffrage qui est partagé avec toutes les parties prenantes du dossier. Durant le scan, l’expert est par ailleurs plus disponible pour l’assuré. Enfin, dans la mesure où la technologie est intégrée au smartphone, l’outil n’est plus réservé aux dossiers à fort enjeu ou montant élevé. Saretec a équipé ses 800 experts de cette technologie en septembre dernier.
S’adapter aux attentes
Pourquoi une telle appétence pour ces nouvelles technologies ? « Les besoins ont augmenté, les délais sont plus courts. Nous sommes allés au bout de ce que peut faire l’humain. La technologie est donc nécessaire, répond François Mondello. En cas de petits chocs sur un véhicule, nous aurons un réflexe d’expertise à distance ou d’IA. Pour un énorme choc, nous opterons pour une expertise terrain. En fonction des besoins, nous aurons besoin de tel ou tel outil. En revanche, l’expert doit avoir tous les outils en sa possession », insiste-il.
De toute évidence, tout le monde en convient : « Nous ne pouvons plus utiliser les outils du XXe siècle avec les attentes des clients du XXIe qui sont dans l’immédiateté », déclare Jean-Vincent Raymondis, PDG de Saretec. Les nouvelles technologies apportent leur lot d’avantages : gain de temps, réactivité, précision, fluidité, aide à la décision et homogénéité dans le traitement. Elles confortent également l’avis de l’expert et le crédibilise. « Il vaut mieux s’autodisrupter que se faire disrupter par d’autres », affirme Jean-Pierre Guillaume, directeur digital chez Eurexo, dont la solution Easy Sinistre permet de déclarer un sinistre en quelques clics. « C’est un secteur avec peu d’acteurs donc beaucoup de concurrence qui pousse à l’innovation », reconnaît également Emmanuel Villette. à titre d’exemple, Saretec investit, chaque année depuis 2015, 5 % de son chiffre d’affaires en recherche & développement pour travailler sur les parcours clients, l’imagerie satellitaire, l’intelligence artificielle et la data.
Les images satellites permettent le déplacement virtuel
Les images satellites sont le moyen de réaliser une cartographie précise sur laquelle peuvent être modélisées en 3D les zones sinistrées ainsi que les bâtiments touchés. Objectif : constater les dégâts rapidement avant même de pouvoir se rendre sur place. L’inspecteur sinistre peut alors se déplacer virtuellement en utilisant des lunettes de réalité virtuelle et mandater le bon expert qui disposera d’une feuille de route claire. Il saura où aller, quand, à quel rythme et sur quel type de sinistre. L’expert et l’assureur gagnent ainsi en temps et en efficacité. Cette technologie, mise en place par Groupama en partenariat avec Predict Services pour gérer des situations de crise sans accès à la zone sinistrée, a été utilisée lors de la tempête Alex en octobre et après les incendies de forêt dans le Var en août.
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