Journée mondiale de la fibromyalgie : une maladie de femmes ? Plus maintenant et heureusement !

La fibromyalgie est une forme de douleur chronique diffuse associée à d’autres symptômes tels que de la fatigue et des troubles du sommeil et cognitifs. Entre 1,4 et 2,2 % des Français seraient concernés mais l’absence de marqueur biologique rend le diagnostic difficile à poser. A cette réalité clinique complexe s’ajoute le fait que la maladie a longtemps été considérée comme « une maladie de femmes », les patientes étant alors victimes de préjugés. Qu’en est-il aujourd’hui ? Décryptage avec Carole Robert, présidente de l'association Fibromyalgie France et le Pr Gisèle Pickering*, pharmacologue spécialiste de la douleur, à l’occasion de la journée mondiale de la fibromyalgie le 12 mai.
Alexandra Bresson
Journée mondiale de la fibromyalgie : une maladie de femmes ? Plus maintenant et heureusement ! Getty Images/SimpleImages

Selon les estimations de l’Assurance maladie, les femmes âgées de 30 à 55 ans sont plus souvent concernées (8 à 9 cas sur 10) par la fibromyalgie, comment expliquer cette prévalence ?

C.R : Au départ, il y avait bien cette idée qu’il s’agissait d’une maladie de femme, au point que quand des hommes pensaient avoir une fibromyalgie et se rendaient chez leur médecin d’eux-mêmes, on leur répondait effectivement que « c’est une maladie de femme », cette croyance était très forte. Il y a à la fois l’idée que cette pathologie n’existe pas chez les hommes et l’idée, qui plus est, qu’un homme doit être solide et est censé supporter la douleur alors que nous "pauvres" femmes nous ne la supportons pas...

G.P : On observe effectivement une forte prédominance des femmes parmi les patients diagnostiqués. Cette forme représentativité dépend notamment de la manière dont on diagnostique la fibromyalgie. Les médecins utilisent par exemple les critères émis par l’American College of Rhumatoloy dont certains datent de 1990 où effectivement le ratio femmes/hommes était de 13,7 par rapport à 1. Mais les critères récents montrent une prédominance chez les femmes mais moins élevée : 1,4 par rapport à 1 chez les hommes. Tout dépend donc de la manière dont on pose le diagnostic. Par ailleurs dans la population générale, les médecins reçoivent souvent plus de femmes que d’hommes en consultation pour la fibromyalgie, mais c’est le cas pour le domaine de la douleur en général. Le côté diagnostic est donc très important mais aussi physiopathologique, en observant plus de douleurs de manière générale chez les femmes, sans oublier l’aspect psychosocial très fort.

Peut-on dire que la maladie a longtemps été étiquetée comme « une maladie de femme », et que le manque d’enseignements sur la fibromyalgie est en partie attribué à cette idée reçue ?

C.R : On considérait encore jusqu’en 2019 qu’il y avait neuf femmes pour un homme fibromyalgique. Les récentes études, dont l’expertise collective publiée par l’Inserm (publié en 2020, ce rapport fait le point sur les connaissances relatives à ce syndrome, et notamment sur ses mécanismes physiopathologiques) ont permis de montrer que c’est en réalité deux tiers de femmes pour un tiers d’hommes ce qui change donc largement la quantité d’hommes concernés. Enfin on considère qu’il y a plus d’hommes fibromyalgiques que concernés initialement ! Nous avons nous-mêmes de plus en plus d’hommes adhérents qui n’ont pas hésité à en parler chez le médecin, et sont diagnostiqués clairement. Mais cela reste toujours un peu péjoratif, même chez les hommes, d’avoir une fibromyalgie. A cause de cette image de « personne fragile » qui s’écoute un peu trop… on entend beaucoup de choses assez déplaisantes. Sans oublier l’aspect psychologique : quand on vit avec des douleurs chroniques que l’on ressent toute la journée, que l’on n’arrive pas à s’occuper de ses enfants, à rester dans le monde de l’emploi et qu’on s’entend dire « c’est dans votre tête mais vous ne voulez pas l’admettre », c’est très violent.

Est-ce toujours le cas, aujourd’hui ?

C.R : Au niveau de la recherche, le fait de travailler sur la fibromyalgie n’était encore il n’y a pas si longtemps peu valorisé. Quand les médecins ou chercheurs souhaitaient monter un projet dans ce domaine, il n’y avait pas de financement possible car ce n’était pas « un vrai » sujet d’études. Donc il a fallu attendre longtemps avant de pouvoir bénéficier de financements, et encore dans la recherche clinique, mais pas dans la recherche fondamentale sur les causes de la maladie. En établissant une comparaison avec le COVID, une maladie transmissible parfois mortelle, dangereuse, on voit bien qu’il peut se mettre en place des moyens rapides. Des études existaient déjà au Canada et aux Etats-Unis, qui étaient déjà très avant-gardistes dans ce domaine, mais en France ce n’était pas un sujet qui « stimule ». Nous avons maintenant l’expertise publiée par l’Inserm très riche en données que nous réclamions depuis 2004. Il aura fallu 15 ans au total pour qu’elle soit validée et publiée. Cette expertise collective inscrit dans le marbre la réalité de la fibromyalgie, pour la première fois. Grâce à ce travail d’experts, c’est difficile de dire maintenant à un patient que « cela n’existe pas »

Les symptômes décrits diffèrent-ils beaucoup de ceux ressentis par les patients masculins ?

C.R : Pour les femmes, le ressenti serait beaucoup plus puissant, mais la question se pose de savoir s’il n’existe pas un lien avec l’errance diagnostique, car les patientes ne se sentent pas toujours écoutées. Pour ma part tant que je n’avais pas de diagnostic et qu’on ne me croyait pas, je me souviens très bien que je produisais de la douleur à force de ne pas être entendue. Le fait d’être tendue, inquiète, de ne pas avoir d’écoute peut aggraver ce ressenti, et a contrario lorsque l’on se sent écouté et pris en charge, que l’on nous propose une éducation thérapeutique et une activité physique adaptées, on peut vivre une sorte d’amélioration. Chez les hommes, les nouveaux chiffres actuels prouvent qu’eux aussi sont concernés par cette situation.

G.P : Les critères étant très hétérogènes, on ne peut pas dire que les manifestations sont vraiment différentes chez les femmes par rapport aux hommes car peu d’études très poussées dans ce domaine ont été menées. Le syndrome fibromyalgique est extrêmement hétérogène, il y a des douleurs diffuses sur le corps entier ou une partie du corps, de la fatigue chronique mais aussi des maux de tête et troubles digestifs mais pas nécessairement. Il peut aussi y avoir des variations au niveau psychologique avec de la déprime et de l’anxiété mais, encore une fois, ce n’est pas systématique. On observe aussi souvent des troubles du sommeil mais des études ont montré que les fibromyalgiques continuent à travailler et ont besoin de continuer de travailler, dans de bonnes conditions.

Beaucoup de patientes en général peuvent s’entendre dire qu’avoir mal quand on est une femme, c’est normal, les préjugés sexistes sont-ils courants pour les patientes atteintes de fibromyalgie ? Ne retardent-ils pas le diagnostic et la prise en charge médicale ?

C.R : Pour moi, les situations les plus parlantes concernent les médecins experts qui vont statuer sur le handicap ou l’invalidité de la patiente. Les réponses peuvent être violentes, méchantes comme si on était « fragile », qu’on ne voulait pas travailler. C’est pourquoi l’association demande depuis 2013 un outil d’évaluation de la sévérité de la fibromyalgie qui permettrait aux experts de ne pas émettre d’avis personnel, puisque c’est le cas lorsqu’ils parlent aussi durement. Avec un tel outil concret permettant d’évaluer la perte d’autonomie et de la qualité de vie des patients à disposition, un médecin expert n’a pas d’autres choix que de l’utiliser, comme un barème. Ce serait fondamental pour arrêter d’avoir une opinion personnelle face à un malade qui n’arrive par ailleurs pas toujours à exprimer son état : on ne résume pas en deux minutes son quotidien avec une fibromyalgie, ce n’est pas possible.

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G.P : Il y a eu certainement des préjugés sexistes, heureusement c’est moins le cas aujourd’hui grâce aux nouvelles informations dont celles données par l’expertise collective de l’Inserm. Ce document signifie qu’on la reconnaît officiellement comme une pathologie à suivre et qu’il faut faire avancer le diagnostic. Je pense que le sexisme présent il y a encore quelques années s’est beaucoup atténué aujourd’hui puisqu’on reconnaît officiellement la fibromyalgie, et que des hommes peuvent très bien consulter : c’est le cas dans mon centre à Clermont-Ferrand. Je ne pense pas que ce concept freine de nos jours la prise en charge mais il faut que tous les acteurs de santé soient mieux informés sur la marche à suivre. La prise en charge de la fibromyalgie a beaucoup changé : aux patients, on donnait systématiquement de médicaments mais au regard des études publiées depuis cinq ans on sait désormais que la première ligne de traitement correspond à l’activité physique et aux techniques cognitivo-comportementales. C’est sur cette ligne d’amélioration du diagnostic et de traitement qu’il faut agir.

L’un des enjeux précis de la recherche sur la fibromyalgie ne devrait-il pas de faire en sorte que la douleur des femmes ne soit pas traitée moins sérieusement que celle des hommes ?

G.P : On sait que les femmes ont une sensibilité à la douleur bien reconnue, mais la recherche doit avancer grâce à l’élaboration de cohortes de patients fibromyalgiques pour essayer de mieux la prendre en charge. Au CHU de Clermont-Ferrand nous venons justement de finir un suivi de cohorte, l’un des premiers en France, sur 250 patientes fibromyalgiques. Le but est de trouver les facteurs prédictifs de la pathologie et pourquoi leurs douleurs sont moyennement prises en charge. Nous nous intéressons à l’aspect clinique mais aussi génétique qui peut-être en cause dans la maladie et nous nous intéressons aussi au microbiote puisqu’il n'est pas exactement le même selon le sexe. La recherche prend donc cette direction aujourd’hui, pour suivre des patients hommes ou femmes et essayer de trouver des biomarqueurs de leurs douleurs et ainsi déterminer une prise en charge optimale. On suit aussi tous les aspects cognitifs et émotionnels pour voir si ces différences hommes/femmes existent vraiment. Nous voulons surtout trouver les biomarqueurs en cause pour une meilleure prise en charge.

Pour améliorer la prise en compte de cette pathologie ne faudrait-il pas que la maladie figure sur la liste des 30 maladies reconnues comme Affections de Longue Durée (ALD 30, une liste établie par décret qui fixe trente affections ouvrant droit à une exonération du ticket modérateur) par l’Assurance maladie ?

C.R : Je suis personnellement en ALD 30 pour mon cœur, mais la fibromyalgie figure sur la liste des ALD dites « hors liste » (ALD 31, qui concernent les patients atteints d'une forme grave d'une maladie, ou d'une forme évolutive ou invalidante d'une maladie grave, ne figurant pas sur la liste des ALD 30), ce qui fait une grosse différence pour les patients. Ce qui est compliqué c’est qu’il existe une circulaire qui régit l’ALD 31. L’ALD 30 sera peut-être possible lorsque l’on connaîtra le « marqueur » de la fibromyalgie. En fonction de la sévérité de la pathologie, c’est l’Assurance maladie qui détermine la liste des maladies concernées par l’ALD 30. Si on découvre un marqueur de la fibromyalgie démontrant des conséquences extrêmes sur l’organisme qui nécessite des soins à vie, l’ALD 30 sera peut-être envisagée. Avec un marqueur, nous disposerions d’une preuve que le malade doit être pris au sérieux.

G.P : Il s’agit effectivement d’une question très débattue lors de l’expertise collective de l’Inserm. Nous avons beaucoup progressé mais il faut mieux connaître la physiopathologie de la maladie pour une prise en charge adaptée au mieux, ce que les patients attendent. Dans les années futures, cette meilleure connaissance apportera une amélioration de la prise en charge. Mais nous avons déjà beaucoup progressé puisque nous sommes parties d’une maladie auparavant considérée comme une « maladie de femmes » avec un aspect péjoratif. J’espère que dans les prochaines années, nous irons vers une prise en charge encore plus complète.

A la suite de la remuse du rapport de l’expertise collective publiée par l’Inserm en 2020, le ministère de la Santé a affirmé vouloir engager plusieurs mesures concrètes afin de répondre aux attentes des patients. Quelles sont les avancées dans ce domaine ?

C.R : Effectivement la période COVID a tout mis en suspens mais avec une promesse de reprendre les pistes de travail. L’une d’elles est particulièrement importante, celle qui porte sur les MDPH (une mesure issue des recommandations de l’expertise collective de l’Inserm est de mieux informer les professionnels des Maisons Départementales des Personnes Handicapées à travers une lettre réseau de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie sur la fibromyalgie afin d’améliorer la reconnaissance du caractère invalidant du syndrome fibromyalgique). Cette action est à l’étude et maintenant que le COVID-19 nous laisse un peu souffler, nous allons pouvoir reprendre les contacts avec le ministère de la Santé. Le ministère a voulu cette expertise collective, il faut assumer ce qu’elle propose. Des annonces bien concrètes ont été énumérées, il faut maintenant les mettre en œuvre.

G.P : COVID-19 oblige, la publication de cette expertise a été, au final, assez confidentielle. Certaines actions ont vu le jour mais il faut qu’on continue, la Société Française d’Evaluation et de Traitement de la Douleur a établi en 2021 un partenariat avec la Direction Générale de la Santé et des associations de patients, et cela a conduit à la réalisation de petits films pour sensibiliser sur la fibromyalgie. Il faut continuer, ne pas lâcher ni la recherche de qualité ni les actions pour porter le message des patients fibromyalgiques. Les deux priorités à mener en parallèle selon moi sont la recherche et l’information, pour mettre fin à la stigmatisation des maladies et trouver des pistes de traitement adéquates.

*Chef de service Plateforme d'Investigation Clinique - Médecin coordonnateur du Centre d’Investigation Clinique Inserm CIC-1405 Laboratoire de Pharmacologie Fondamentale et Clinique de la douleur Inserm Neurodol 1107

le 11/05/2022