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05 / 02 / 2021 | 133 vues
Jean François Draperi / Membre
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La RECMA, un siècle d'histoire d'une revue coopérative de recherche politique, économique et sociale

Fin 2021, la RECMA aura cent ans. Elle a été fondée par Charles Gide et Bernard Lavergne. La notoriété de Charles Gide dans le monde universitaire a permis de réunir la signature de deux cents intellectuels à la sortie du premier numéro, dans lequel Gide publiait pourtant un article très virulent (« un texte pamphlétaire », dit André Chomel*) expliquant « pourquoi les économistes n’aiment pas la coopération ».


Cet article permet de comprendre que la tonalité de la Revue des études coopératives (REC) a été singulièrement différente d’une revue académique, dès sa fondation. Certes, elle publie des textes « classiques » sur les questions politiques, économiques et sociales mais également des textes doctrinaux ou techniques sur la coopération, incompatibles avec la conception d’une revue scientifique classique. Cette spécificité de la REC tient à la façon dont les chercheurs coopératifs se situent vis-à-vis de leur objet d’étude. Ils sont tous très engagés dans le mouvement coopératif. Charles Gide est l’ancien président de l’Union coopérative (1885), première fédération des coopératives de consommateurs, cofondateur de la Fédération nationale des coopératives de consommateurs (FNCC, 1912) avec Jean Jaurès et inspirateur internationalement reconnu du mouvement coopératif.


La REC est ainsi directement liée au mouvement coopératif, représenté par la FNCC pendant le premier demi-siècle de son existence, et n’aurait pu avoir la densité théorique et politique qu’elle a eue sans qu’existe un mouvement social ayant eu l’ambition de changer le monde et se soit engagé en faveur de l’instauration d’une république coopérative. En 1921, c’est la puissance de ce mouvement animé par cette ambition qui a justifié la création de la REC, comme elle a fondé les Presses universitaires de France et les coopératives scolaires dans le même élan.


La revue s'est sabordée en 1940 et a reparu en 1945 sous la forme d’une publication commune avec L’Année politique et Res Publica. En 1950, la REC est réapparue tout à fait. À partir de cette date, ses centres d’intérêt se sont élargis à la coopération agricole et à la coopération de crédit, même si, sous la plume de son directeur Bernard Lavergne, les coopératives de consommateurs et les régies coopératives étaient à l’honneur. Cependant, dès 1935, l’utopie de la République coopérative était ébranlée par la publication par Georges Fauquet de son ouvrage Le Secteur coopératif. Après la guerre, le rêve d’une République des consommateurs s’est éloigné et a laissé la place à une coopération considérée comme au service de l’intérêt général.


En 1960, lorsque Henri Desroche a fondé les Archives des sciences sociales, de la coopération et du développement (ASSCOD), il a associé les chercheurs qui ne s’intéressaient pas à la REC. De fait, durant les Trente Glorieuses, la revue s'est tournée vers les questions techniques et professionnelles qui mobilisaient les coopérateurs. Inversement, Henri Desroche n'est pas parvenu à intéresser les coopérateurs français mais a trouvé un écho considérable dans les pays de l’hémisphère sud accédant à l’indépendance. Cette dualité témoigne des premières difficultés à tenir les deux rênes du projet initial de la REC : être une revue s’adressant à un large public aussi bien universitaire que de praticiens. Cette difficulté s’est clairement exprimée lorsque, au début des années 1980, l’universitaire Serge Koulytchizky a repris la responsabilité éditoriale et est entré en conflit avec l’administration de la revue, composée de représentants des mouvements. L’année suivante a vu la faillite des coopératives de consommateurs.


La revue a alors perdu tout soutien et l’histoire aurait pu s’arrêter là.

 

Ouverture, indépendance et nouveaux défis


Mais la Revue des études coopératives est re-née grâce aux implications de Jacques Moreau (président du Crédit coopératif) et d’André Chomel (ancien directeur financier de la même banque) qui en a pris la direction pour dix ans. Chomel soulignait que cette renaissance ne pouvait être durable qu’à deux conditions : d’une part la distinction nette entre l’administration et la rédaction pour garantir l’indépendance éditoriale et, d’autre part, l’élargissement de l’objet de la REC. L’indépendance a été obtenue par un équilibre des pouvoirs et par une forme d’institutionnalisation à travers un conseil d’orientation, un comité éditorial et un réseau de correspondants dans une vingtaine de pays. Le champ s’est élargi avec la transformation de la REC en RECMA, Revue des études coopératives, mutualistes et associatives, puis Revue internationale de l’économie sociale, en 1984.



À la fin des années 1990, les défis n’en étaient pas moins nombreux : il s’agissait d’abord de restaurer la reconnaissance universitaire de la revue. La RECMA était lue par des praticiens et ignorée du monde universitaire, à l’exception des quelques membres du comité de rédaction qui en étaient issus. Ce pari supposait également d’ouvrir la revue à d’autres disciplines que l’économie, discipline de référence depuis sa fondation. Alors que les ASSCOD de Henri Desroche avaient cessé leurs publications en 1990, il s’agissait également de s’ouvrir au niveau international. La RECMA devait articuler la socio-économie des organisations coopératives de Claude Vienney et la sociologie du projet coopératif de Henri Desroche qui s’exprimait dans les ASSCOD.



L’orientation universitaire de la revue et l’élargissement de son champ au-delà du mouvement coopératif ont cependant éloigné la RECMA des mouvements qui la soutenaient auparavant sans réserve. Il y a un siècle, la REC servait un projet politique que n’a pas l’ESS, comme le souligne le RIUESS dans l’introduction du dossier de le dernier numéro qui vient de paraître.



L’année qui commence s’annonce comme devant redéfinir le projet de la RECMA. Les innovations coopératives et associatives, les nouvelles formes d’éducation populaire, la renaissance élargie des communs et le renouveau des sciences ouvertes dans le sillon des « open sources » peuvent constituer des cadres dans lesquels la recherche coopérative a toute sa place.

 

En 2021, la RECMA organisera des manifestations pour fêter ses cent ans.

 

(1) André Chomel, « Une histoire de la RECMA. De l’école de Nîmes à l’économie sociale et à ses prolongements », RECMA, n° 268, 1994

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