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Décryptage

Crédit Mutuel, l'inévitable mue

Mettre les problèmes derrière soi : si le Crédit Mutuel dénouait les tensions entre Arkéa et la Confédération, à la faveur du dégel qui s'amorce, il pourrait se recentrer à 100 % sur ses ambitions commerciales, et poursuivre le déploiement d'un modèle original.

La Confédération nationale du Crédit Mutuel (CNCM) est l'organe central du groupe Crédit Mutuel.
La Confédération nationale du Crédit Mutuel (CNCM) est l'organe central du groupe Crédit Mutuel. (Xavier POPY/REA)

Par Édouard Lederer

Publié le 13 juin 2022 à 06:40Mis à jour le 13 juin 2022 à 07:04

L'heure des retrouvailles. Le 20 mai dernier, après deux années à distance durant la crise sanitaire, le Crédit Mutuel a mis les moyens pour le retour de son traditionnel rassemblement annuel, au Zénith de Strasbourg : plus précisément la Fédération centre-Est Europe - l'entité clé au sein de « l'Alliance Fédérale » - tenait ce jour-là son AG : un séminaire géant, ponctué par un message vidéo du rappeur Soprano, et suivi, sous un chapiteau d'un Picon bière et de la « choucroute fédérale » servie pour 4.500 personnes .

« Le mutualisme a un potentiel révolutionnaire, loin des canons de l'économie traditionnelle », a insisté sur scène son dirigeant Nicolas Théry, également président de l'Alliance fédérale (CMAF), qui regroupe 14 fédérations, et de l'organe central du Crédit Mutuel.

Mais au-delà de Strasbourg, ces « retrouvailles » ont pris une autre signification : Arkéa, qui regroupe Crédit Mutuel de Bretagne et du Sud-Ouest, et la Confédération tentent en effet d'esquisser un dégel après des années de conflit. A son quartier général du Relecq-Kerhuon près de Brest, la fédération affiche toujours une grande banderole « Libre ici » pour accueillir les visiteurs. Mais elle s'est vue proposer des concessions par Nicolas Théry, dont un droit de veto sur certaines décisions de l'organe central. « Si c'est le point de départ d'une vraie discussion, alors c'est intéressant », a réagi Julien Carmona, le patron d'Arkéa, qui réclame des « garanties ».

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Deux indicateurs surpassent la concurrence

De quoi se recentrer à 100% sur ses ambitions commerciales. Comme ses concurrents, le groupe mutualiste - il appartient à ses clients sociétaires et non à des actionnaires - a signé une année 2021 record, avec un résultat net de 4,3 milliards d'euros. « Il se distingue sur deux indicateurs clefs : le coefficient d'exploitation [ou « CoEx », rapport entre les coûts et les revenus, NDLR] , et le taux d'équipement des clients par des produits maison, explique Nicolas Darbo, associé en charge des services financiers chez Accuracy. Sur l'assurance notamment, le Crédit Mutuel est de longue date la banque qui équipe le plus ses clients avec ses propres solutions, devant ses pairs mutualistes ».

Cette efficacité opérationnelle s'explique notamment par la culture maison de maîtrise des dépenses. Le groupe, né en Alsace en 1882 dans le sillage du mouvement allemand des banques coopératives Raiffeisen, a la réputation de se passer de consultants extérieurs et de courtiers en crédit… Surtout, dès les années 1970, il a commencé à rationaliser son outil informatique, une clé dans l'industrie bancaire. A l'exception d'Arkéa, l'ensemble du groupe s'est arrimé à Euro information, la filiale qui produit et fait « tourner » les systèmes informatiques de l'Alliance Fédérale, de ses filiales, et d'autres fédérations autonomes.

Se passer des back-offices

Cette mise en commun permet d'amortir les coûts informatiques. « Nous avons aussi une base ultrasécurisée qui centralise les informations sur les clients, en épargne, en crédit et en monétique », explique Frantz Rublé, à la tête d'Euro-information, installé au sein du « Crédit Mutuel Land » strasbourgeois . « Cet outil va devenir d'autant plus puissant que toutes les entités du groupe pourront à leur tour s'en saisir et l'enrichir », poursuit le responsable. Plus largement, cette base de données entre dans la politique de l'Alliance Fédérale de se passer de back-offices - nouvelle source d'économies - car la plupart des dossiers sont instruits directement sur place dans les agences.

Ainsi, seul Arkéa opère son système maison, et pour cause : il y voit la garantie de son autonomie et du maintien de milliers d'emplois. Afin d'amortir cet outil, il en propose l'utilisation en marque blanche à d'autres établissements, comme AXA Banque, ou l'ex-banque de détail française d'HSBC : une activité en soi pour le groupe, dont l'activité B2B (en direction d'autres banques) est en forte croissance.

Du côté des revenus, le groupe joue sur la diversification. Il s'est très tôt étendu au-delà des frontières bancaires, notamment dans l'assurance-vie (via respectivement les ACM pour l'Alliance Fédérale, et Suravenir pour Arkéa), dans les alarmes ou dans la téléphonie. Une stratégie suivie par la concurrence, qui ne va pas forcément aller aussi loin.

Alliance de la tech et du terroir

Un autre levier de performance est par contre plus difficile à répliquer, car il réside dans l'identité mutualiste du groupe, qui donne toute sa place au terrain, via plus de 2.000 caisses locales (entité regroupant de 1 à 5 agences). Chaque caisse « peut prendre 97 % des décisions d'octroi de crédit elle-même, sans en référer au degré supérieur », indique l'ensemble mutualiste sur son site web.

Dans cette construction, le rôle des administrateurs - des clients sociétaires élus par leurs pairs - est central. « Un jour le maire est venu me demander pourquoi nous ne faisions pas de prêts aux collectivités. J'ai pu très rapidement faire remonter le besoin, afin de compléter notre offre », explique un administrateur du groupe, ex-enseignant de lettres. Ni salariés, ni simples actionnaires, ces élus animent en outre leurs caisses locales respectives, notamment sur le plan commercial.

Nos concurrents ne sont pas des manchots

Nicolas théry Président de l'Alliance fédérale (CMAF)
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Cette alliance improbable de la tech et du terroir permet au Crédit Mutuel de contrôler environ 17 % du marché français de la banque de détail, alors que son rival Crédit Agricole (avec sa filiale LCL) pointe autour de 25 % . Pour gagner du terrain, l'Alliance fédérale, qui lancera un nouveau plan stratégique d'ici à 2024, commence à lancer les réflexions. « Nos concurrents ne sont pas des manchots », a insisté Nicolas Théry lors de son discours, s'appuyant sur une statistique pointue, mais parlante : en 2012, CMAF générait 2,37 euros de revenus pour 100 euros au bilan. Dix ans plus tard, ce montant est tombé de 18 %, à 1,94 euros. Dans le même temps, Crédit Agricole gagnait 2 centimes, à 1,62 euros.

Renouveler le fonds de commerce

Une des clés sera bien sûr de renouveler le fonds de commerce. Pour les mutualistes, cela signifie attirer de nouveaux sociétaires. Le dispositif est plutôt fidélisant, avec sa dimension associative et la rémunération de la part sociale, mais aussi intéressant pour la banque. En effet, ces parts sociales offrent une rémunération limitée (environ 1,5 % en 2021), et constituent donc une ressource bon marché pour la banque. Ce point va encore gagner en importance, puisqu'avec la remontée annoncée des taux d'intérêt, se refinancer va devenir plus onéreux pour les établissements bancaires.

Outre l'internationalisation, qui reste à affirmer, un deuxième défi touche à la dimension clairement « plurielle » du Crédit Mutuel : même si Arkéa et la Confédération parviennent à faire la paix, deux modèles (celui d'Arkéa et de l'Alliance fédérale) continueront à cohabiter au sein du groupe, avec deux banques en ligne, deux compagnies d'assurance… « Nous avons beaucoup d'estime pour ce qu'ils font, mais ce modèle n'est pas soluble dans l'autre », expliquait récemment Julien Carmona. Selon les points de vue, cette situation apporte de l'émulation, de l'inventivité... ou alors empêche encore le groupe de se déployer pleinement à l'échelle nationale.

Edouard Lederer (Envoyé spécial à Strasbourg et au Relecq-Kerhuon)

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